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une nouvelle preuve de confiance. En apportant au scrutin un vote affirmatif, vous conjurerez les menaces de la Révolution, vous assoirez sur des bases solides l’ordre et la liberté et vous rendrez plus facile, dans l’avenir, la transmission de la couronne à mon fils. » À ces promesses qui, à l’heure où on les formulait, n’avaient rien d’excessif, l’avenir a répondu par la capitulation de Sedan, la captivité, la révolution, l’exil, la déchéance, la Commune, la mort en pays étranger, la fin tragique au Zoulouland et l’expulsion des princes portant le nom de Bonaparte.

Le succès du plébiscite dépassa toute prévision et la journée du 8 mai 1870 fut un triomphe. 7 350 142 oui opposés à 1 538 825 non et à 112 975 bulletins nuls purent faire croire que l’Empire était à jamais fondé et que la quatrième race venait de prendre définitivement possession du trône de France.

Comme toujours, Paris fut maussade, mais rien de plus, et une majorité de cinquante mille votes négatifs n’était point pour surprendre ceux qui connaissent l’esprit frondeur de la grande ville, où abondent les provinciaux mécontents. On en fut même étonné et l’on s’en applaudit, car l’on s’était attendu à une manifestation d’opposition bien plus imposante. Émile Ollivier rayonnait ; il rapportait à lui-même, il s’attribuait tout le résultat du plébiscite, exultait de joie, et la France, s’ouvrant à tous les espoirs, s’enivrait de toutes les illusions. Seuls quelques hommes prévoyants, dont j’étais le premier à railler les inquiétudes, remarquaient que, dans la proclamation impériale on parlait d’ordre, de liberté, de prospérité, de grandeur, mais que le mot de Paix n’était pas prononcé une seule fois. Ils en concluaient que, si nos affaires intérieures n’allaient pas trop mal, nos relations extérieures n’offraient point toute la sécurité désirable. On se moquait d’eux, et volontiers on les traitait d’oiseaux de mauvais augure. L’Empereur avait reçu les félicitations des corps politiques et de la diplomatie ; son flegme n’en avait pas été troublé ; mais, si l’on eût pénétré jusqu’au fond de son âme, on y eût constaté bien des angoisses. Ce qu’il nommait « les points noirs de l’horizon », il les avait vus, il les voyait encore.

La campagne de 1866, les victoires inattendues de la Prusse avaient donné un soubresaut à l’équilibre européen, dont l’axe semblait se déplacer pour s’infléchir du côté de