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publicité, j’ai su que Gibiat, Jeanty et Émile de Girardin avaient été des plus ardents. Émile de Girardin, dont le vrai nom était Émile Lamotte, que ses adversaires — et il en eut d’acharnés après son duel malheureux avec Armand Carrel — appelaient Émile dit Girardin, était un journaliste redoutable, sachant toujours tirer pied ou aile de n’importe quoi, polémiste vigoureux, très intelligent, rompu à toutes les arguties, ne faisant rien pour rien, dévoré d’une ambition qui n’a jamais été satisfaite, sans principes, rêvant le pouvoir et ne le saisissant qu’en songe. Gibiat et Jeanty s’en rapportèrent honnêtement à Girardin pour stipuler le prix de leurs services.

Girardin fut désintéressé, il fit la petite bouche, il prit des airs de vierge effarouchée et déclina, en rougissant, les offres qui lui furent faites. Il ne voulut rien pour lui, absolument rien, car son dévouement était platonique : seulement il réclama le portefeuille des Travaux publics pour son ami Arthur de La Guéronnière. Ollivier fit des promesses, mais rien de plus. Une fois les cérémonies du plébiscite terminées, Girardin revint à la charge et reçut pour réponse que le ministère des Travaux publics était en ce moment pourvu d’un titulaire dont l’on n’avait qu’à se louer. Deux jours après, les journaux des trois personnages entamèrent une campagne d’opposition contre Émile Ollivier, qui savait à quoi s’en tenir sur ses adversaires et qui néanmoins, pour les désarmer, nomma, au mois de juin, Arthur de La Guéronnière à l’ambassade de France à Constantinople.

C’était le mettre, c’était mettre du même coup Girardin, Gibiat et Jeanty au centre même des opérations financières les plus fertiles, car alors tout était à faire en Turquie, ports, télégraphes, chemins de fer, sans compter les emprunts, qui rapportaient cinquante pour cent.

Avant le plébiscite, en date du 23 avril 1870, Napoléon III lança une proclamation très nette et qui posait la question sans aucune obscurité. Il est difficile, après les événements dont lui-même, sa dynastie et la France ont été frappés, d’en relire certains passages sans être troublé par les ironies du destin. Écoutez : « Je m’adresse à vous tous qui, dès le 10 décembre 1848, avez surmonté tous les obstacles pour me placer à votre tête, à vous qui, depuis vingt-deux ans, m’avez sans cesse grandi par vos suffrages, soutenu par votre concours, récompensé par votre affection. Donnez-moi