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L’Empereur, malade, découragé, appauvri d’idées, affaibli moralement et physiquement, prenait au sérieux son rôle de souverain parlementaire ; il présidait le Conseil, mais ne l’inspirait pas. L’Impératrice, hostile aux réformes, les subissait, tout en les blâmant, et faisait aux mesures adoptées une opposition indiscrète et taquine, à laquelle son entourage applaudissait ; le prince Napoléon, mécontent et frondeur comme toujours, réclamait des libertés qu’il n’eût certainement pas accordées, s’il eût été le maître ; Rouher, goguenard, s’éloignait ostensiblement de toute ingérence, paraissant approuver ce que l’on faisait ; il se tenait prêt à ressaisir le pouvoir ; il attendait l’insuccès de l’épreuve et il y comptait, car on compte sur tout, excepté sur ce qui doit arriver. Donc elles étaient nulles, les forces que l’on combinait pour obtenir le résultat entrevu ; le souverain ne gouvernait plus ; le nouveau ministère ne savait pas comment on gouverne ; les Chambres, livrées à elles-mêmes, hésitaient et ne se reconnaissaient pas, car, élues ou nommées pour soutenir l’autorité, elles se sentaient embarrassées de la liberté qu’on leur donnait à régir. On ne voyait pas cela alors ; comme je l’ai dit, on était emporté par l’espérance vers un avenir qui semblait incomparable.

On ne ménageait point les louanges au groupe d’hommes assez divisés d’opinions qui constituaient le nouveau Conseil des ministres ; c’était le gouvernement réparateur, le gouvernement régénérateur, mais on lui demandait surtout, comme toujours, d’être le gouvernement dispensateur. Il était assailli de sollicitations, et c’est à qui réclamerait un emploi : les parlementaires, parce que seuls ils avaient la pratique du système auquel on revenait ; les libéraux, parce qu’ils aimaient la liberté ; les impérialistes, parce qu’ils étaient partisans de l’Empire ; les bonapartistes, parce qu’ils étaient dévoués à la famille Bonaparte ; les républicains, parce qu’ils voulaient apporter des modifications à la Constitution ; bref, sous un prétexte ou sous un autre, chacun voulait sa part du gâteau et ne négligeait rien pour l’obtenir.

Quelle que fût la bonne volonté d’Ollivier, quel que fût son désir de ne repousser aucune offre de service, de ne décourager personne, il lui était impossible de satisfaire tant de compétitions. Afin d’apaiser un peu ce soulèvement d’ambitions personnelles, il imagina de créer des commissions qui,