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garçon dans toute la force du terme et qui n’avait pas dû avoir de grands combats à soutenir avec lui-même, pour se rallier à l’Empire, car il avait été candidat officiel et candidat élu en 1859. Je crois que, malgré la haute opinion que l’on professe généralement pour soi-même, il a dû être un peu étonné d’être traité d’Excellence et de se prélasser dans un fauteuil ministériel. Il n’avait point de morgue, paraissait n’avoir en lui qu’une confiance limitée, sur toute question consultait Émile Ollivier et lui obéissait. Il fut un comparse bienveillant et je n’en parle que pour mémoire, car je doute que son nom — pardon ! — que ses noms aient surnagé.

Il est un autre ministre dont je dois dire un mot, car on en a fait des gorges chaudes, lorsqu’il surgit inopinément dans la combinaison du 2 janvier. Les plaisanteries glissèrent sur lui et les plaisanteries portèrent à faux ; rarement un homme de volonté meilleure, plus docile aux avis, essaya de faire plus de bien ; c’était Maurice Richard[1], en faveur de qui l’on avait créé le ministère des Beaux-Arts. Il était riche, il était bon, huit mois de pouvoir lui ont coûté plus de trois cent mille francs ; il ne savait point refuser et prenait dans sa bourse les fonds que son budget ne lui offrait pas. Tout de suite, il se mit à recevoir et convia quiconque s’était fait un nom ou l’apparence d’un nom dans les lettres, dans les arts et dans les sciences.

À l’une de ses réceptions, Camille Doucet[2] lui présenta Jules Sandeau. Richard lui tendit la main et, avec son sourire le plus avenant, il lui dit : « J’ai vu hier à l’Odéon une bien belle pièce de madame votre mère. » Sandeau salua et s’éloigna. Camille Doucet ne broncha pas. La pièce était François le Champi, la mère était George Sand, dont Jules Sandeau avait été un des premiers amants. Peu de personnes connurent le pas-t-à-qu’est-ce ; on en glosa, mais on garda le secret ; si les journaux avaient su l’histoire, le pauvre Richard ne s’en serait jamais relevé.

Il eut une idée excellente, toute à l’avantage des artistes, et, quand il tenta de la mettre à exécution, les artistes se

  1. Richard (Maurice), 1832-1888. Député de la gauche au Corps législatif de 1863 à 1870, rallié à la politique d’Émile Ollivier. (N. d. É.)
  2. Doucet (Camille), 1812-1895. Auteur dramatique, directeur de l’administration des théâtres depuis 1863, élu à l’Académie française en 1865. (N. d. É.)