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d’Émile Ollivier était assez élevé pour se refuser aux compromissions et si sa politique serait soustraite à tout marchandage. Lamartine était mort, laissant un fauteuil libre à l’Académie française ; on décida d’y faire asseoir Ollivier, qui fut élu le 7 avril 1870. Rien de mieux ; l’Académie étant une sélection, il était naturel d’y attirer le restaurateur des libertés publiques ; on trouvait ses titres littéraires un peu minces, pour ne pas dire nuls, mais qu’importe ? Ses discours valaient bien les œuvres dramatiques de Legouvé et les livres d’histoire du duc de Noailles.

Par un singulier retour des choses d’ici-bas, ce fut Guizot, promoteur, et l’on peut dire auteur, de l’élection d’Ollivier à l’Académie, qui l’empêcha de prononcer son discours et d’être reçu, selon l’usage, en séance solennelle (mars 1874). Ollivier fut très mortifié. Cinq ans plus tard, il eut à recevoir Henri Martin, successeur de M. Thiers ; son discours, lu à la commission, parut devoir être modifié en certains passages ; Ollivier s’y refusa ; l’Académie consultée maintint la décision de la commission ; Ollivier ne se rendit point aux observations qui lui furent adressées et Xavier Marmier fut désigné pour répondre à la harangue d’Henri Martin (juin 1879). Ollivier se retira, secoua la poussière de ses pieds contre l’Académie et jura qu’il n’y rentrerait jamais. Quand il est à Paris, il ne manque pas une séance. Est-ce donc qu’il s’y plaît ? Non, il y parle.

Le chemin de Cayenne avait bifurqué et avait conduit le député intransigeant de 1857 au poste où s’assoit le directeur de la politique d’une grande nation. Ses anciens amis, un peu jaloux de son triomphe, criaient au scandale et le traitaient de renégat ; ses amis avaient tort ; il avait laissé deviner qu’il irait au pouvoir, cela n’est pas douteux ; mais, en réalité, il reçut toutes les avances, et encore ne les avait-il écoutées qu’après avoir imposé ses conditions. Il rendait au Corps législatif les prérogatives parlementaires et promettait de gouverner en toute liberté. La vérité m’oblige à dire que c’était plus que la France ne demandait ; elle se serait contentée alors de réformes moins complètes ; mais Ollivier, homme de parlement, eut surtout en vue d’accorder au Parlement les privilèges qui lui sont chers et de l’appeler à exercer une action prépondérante dans les affaires de l’État. Chose étrange, il y fut aidé, il y fut convié par l’Empereur, malgré tous les efforts que l’entourage de celui-ci dépensa pour