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mon, personnage muet, battait la mesure, presque toujours à contretemps.

Entendre parler Ollivier, c’était un régal pour les dilettantes de la tribune, et ce régal on ne le leur ménageait pas, car il n’était question sur laquelle « notre jeune Démosthène » n’eût son mot à dire. Il siégeait à gauche, tout en haut, au sommet de la montagne. Rarement une discussion se terminait sans qu’il eût pris la parole ; autant que l’ordre des orateurs inscrits le permettait, il parlait le dernier, laissant l’assemblée sous une impression qu’elle subissait, mais qui ne la pénétrait pas. Pour Ollivier, sa première législature fut une série de discours, d’improvisations, de répliques qui, sans modifier les votes de la Chambre, popularisaient en dehors le nom de l’orateur. Il semblait que l’on ne pût échapper au charme des harmonies qui coulaient de ses lèvres et que même le président du Corps législatif, le comte de Morny, sceptique et blasé, n’y restait pas insensible, car il était plein de grâce envers lui et rendait plus exquise encore sa courtoisie naturelle. Un abîme les séparait, mais il paraissait qu’à travers le précipice on ne dédaignait pas de se faire les yeux doux.

Aux élections de 1863, Émile Ollivier se présenta de nouveau à la troisième circonscription de Paris, où il fut élu à une énorme majorité. Le gouvernement, cependant, bête comme presque tous les gouvernements, avait cru faire un coup de maître en lui opposant un gros bonnet du quartier nommé Varin, petit homme gros, court, trapu, gonflé de lui-même, disant : « J’ai payé ma dette à la société puisque j’ai fait fortune », marchand de toiles, convenablement enrichi par les fournitures de la literie militaire, incapable d’être autre chose qu’un législateur votant sur injonction. Contre un tel concurrent et en présence de ce que l’on nommait le réveil de l’opinion publique, la victoire d’Émile Ollivier, de l’enfant chéri de l’opposition, était certaine ; elle fut écrasante. Le marchand de toiles retourna à son comptoir et Émile Ollivier, rayonnant de toutes les espérances, monta au Capitole.

Dès le début de la session, il y eut quelque chose de changé dans son attitude ; il siégeait toujours à la montagne ; mais on eût dit qu’il en eût voulu descendre. Il fut rapporteur de la loi sur les coalitions ; sa parole s’était modifiée ; elle n’avait plus rien d’acerbe. Je ne sais quelle modération adoucissait sa phrase, autrefois agressive ; ses adversaires l’accueillaient