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suspicion au monde des arts, qui jamais ne l’accepta comme confrère et sut se dérober à sa direction.

Son attitude était peu correcte chez la princesse Mathilde, dont il semblait prendre à tâche de cultiver les défauts ; le laisser-aller de leur façon d’être était excessif, parfois gênant de familiarité, et l’on y voyait trop que le salon n’était que l’antichambre de l’alcôve. Du reste, ni l’un ni l’autre ne semblaient attacher grande importance à la fidélité ; l’on pouvait croire qu’ils vivaient comme deux époux doués d’indulgence mutuelle et sachant fermer les yeux à l’heure opportune. La princesse, qui était bonne, secourable et de quelque intelligence, s’est fait grand tort avec cette affection destinée à mal finir et à être encore plus mal remplacée. J’en ai entendu souvent gloser, et la présence encombrante de Nieuwerkerke a écarté bien du monde, et du meilleur, de l’hôtel de la rue de Courcelles. L’Empereur n’aimait point « le bel Émilien » ; il l’éloignait systématiquement, ne le faisait jamais inviter à Fontainebleau, ni à Compiègne, et ne l’admettait qu’aux Tuileries, d’où il ne pouvait exclure le directeur général des musées impériaux.

Cependant il en fit un surintendant des Beaux-Arts, reconstituant pour lui une charge illusoire, tombée en désuétude et dont il le pourvut, dit-on, afin de se débarrasser des sollicitations de la princesse Mathilde. Possédait-il les connaissances indispensables à ses fonctions ? J’en doute, car il se laissa mystifier, en achetant, comme œuvre authentique du XVIe siècle, un buste en terre cuite fabriqué en 1862 par un modeleur italien, nommé Bastianini ; était-il un directeur scrupuleux des musées dont il avait la garde, je ne le crois pas, car il avait fait accrocher aux murailles du Cercle impérial (rue Boissy-d’Anglas) une vingtaine de tableaux appartenant aux galeries du Louvre. Peccadilles sans conséquence ; il en eut de plus graves : car, en 1863, il porta atteinte à la constitution de l’École des Beaux-Arts et bouleversa maladroitement d’excellentes institutions que nous avait léguées l’ancienne Académie royale de peinture. En cette circonstance, il ne fut qu’un instrument entre des mains impatientes et ne s’en aperçut guère.

Derrière le rideau, faisant mouvoir le fil des pantins administratifs, se dissimulait un homme habile, sceptique, pour ne pas dire cynique, bien vu à la Cour qu’il amusait, familier de l’Impératrice qu’il avait connue toute petite, célèbre par son