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et de la légalité, pendant que le tocsin sonnait au-dessus de sa tête ? Quel retour fit-il sur lui-même et que pensa-t-il de la réversibilité des actes de l’homme ? Se demanda-t-il si jadis, aux heures de l’effervescence, il n’avait pas donné l’exemple à ceux qui, plus cruels et inexcusables, brûlaient Paris et massacraient des innocents ? Pardonna-t-il à ses bourreaux en se rappelant que derrière des barricades, au milieu des émeutes, il avait cherché à tuer ses semblables ? Paix sur lui et sur ses meurtriers ; s’il est un juge suprême, ils ont comparu aux pieds de son tribunal et la sentence est prononcée.

Le souverain pour lequel Bonjean combattit en 1830, contre lequel il combattit en 1832, ne méritait

Ni cet excès d’honneur ni cette indignité.

Le « Napoléon de la Paix », comme le nommaient volontiers ses admirateurs, fut un monarque sans grandeur ; issu d’une révolution, il redouta partout la révolution en Europe, ne parvint à se créer aucune alliance, resta stationnaire aussi bien vis-à-vis de l’étranger que vis-à-vis du pays même, ne recula devant aucun déboire plutôt que d’appeler la France aux armes, se refusa obstinément à toute réforme intérieure et se fit gloire de respecter les traités de 1815 contre lesquels son élection avait protesté. On disait : « C’est un finaud. » De finasserie en finasserie, il en arriva à s’effondrer sur un incident sans gravité dont sa maladresse et ses tergiversations firent une révolution que personne ne désirait. Une émeute l’avait apporté, une émeute le remporta : justo judicio damnatus[1].

  1. On a surtout reproché à Louis-Philippe d’avoir dépouillé le duc de Bordeaux, dont Charles X lui avait confié la tutelle en le nommant lieutenant général du royaume. À cet égard, voici un témoignage qui est à sa décharge. L’attaché militaire anglais à Paris était, alors, le colonel Cradoc, qui se trouvait à Londres pendant les journées de Juillet. Lord Wellington lui prescrivit de se rendre immédiatement à son poste et d’adresser au Foreign Office des renseignements sur la révolution. Cradoc revint à Paris et fut convié par Lord Stuart, ambassadeur d’Angleterre, à aller voir le duc d’Orléans. Celui-ci lui dit : « Tâchez de rejoindre, coûte que coûte, le roi Charles X et demandez-lui de me remettre le duc de Bordeaux ; je m’engage à le faire couronner. » Après bien des difficultés, Cradoc arriva, un soir, dans un village près de Laigle et pénétra jusqu’à Charles X, qui était déjà couché. À la proposition du duc d’Orléans, il répondit : « Je ne puis rien sans le consentement de la duchesse de Berry. » Appelée, consultée, la mère d’Henri V s’écria : « Jamais, c’est une famille d’assassins ; ils l’empoisonneraient. » Cradoc, de retour à Paris, rendit compte au duc d’Orléans, qui dit : « Ils l’auront