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hongrois, qui habitait Turin et s’appelait le comte Pulsky, homme d’esprit, beau phraseur, ayant de la faconde, sachant écouter et surtout sachant répéter. Il répétait en bon lieu : au Foreign Office, dont il était l’agent secret.

Garibaldi ne cacha rien à Pulsky de l’expédition projetée et l’engagea à l’accompagner à Pesth et à Vienne. Pulsky, avant d’entreprendre ce voyage, alla en causer avec Sir James Hudson, ministre plénipotentiaire d’Angleterre près du roi d’Italie. Sir James Hudson avertit son gouvernement, qui lui prescrivit de faire effort pour empêcher Garibaldi de traverser la mer Adriatique et d’aller porter la guerre révolutionnaire sur les territoires turcs et autrichiens. En même temps, l’ambassadeur de Londres à Athènes reçut des ordres, dont le pauvre Othon ne tarda pas à reconnaître les conséquences.

Sir James Hudson se rendit secrètement à l’île de Caprera et eut avec Garibaldi une entrevue qui fut décisive. À ce niais, que la haine de la papauté aveuglait, il expliqua que l’Angleterre, la protestante Angleterre, ne désirait rien tant que de voir disparaître la puissance temporelle ; que l’Italie ne serait jamais constituée tant qu’elle n’occuperait pas le Capitole et le Vatican ; que si l’on apprenait que lui — chef des Mille — marchait vers la Ville éternelle, le mouvement, l’enthousiasme de l’esprit anglais serait tel que le gouvernement de la reine serait contraint d’agir et que, dans ce cas, la France hésiterait à intervenir pour sauver le pape. Le panneau était bien tendu ; Garibaldi s’y jeta tête baissée : « Délivrons Rome d’abord, et ensuite, courons au Danube ! » Sir James Hudson approuva et Garibaldi entreprit la plus folle de ses équipées.

La France déclara à Victor-Emmanuel que s’il n’arrêtait pas Garibaldi, elle irait l’arrêter elle-même. Le dénouement fut rapide. Garibaldi tomba sur les hauteurs d’Aspromonte et ne s’en releva jamais. Frappé au métatarse d’une blessure très douloureuse, il fut transporté à la forteresse de Verignano ; il n’y était pas depuis deux jours qu’il recevait la visite du roi Victor-Emmanuel et du ministre Ratazzi, qui venaient conspirer de plus belle avec lui. Quant au roi Othon, l’Angleterre le fit mettre à la porte de son petit royaume, et il n’en fut pas plus fâché que cela. Il revint à Munich, dont la bière lui parut supérieure à celle d’Athènes.

L’affaire d’Aspromonte est du 27 août 1862 ; deux mois