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aucun des projets intimes de l’Empereur, s’y associa souvent et, dans plus d’une circonstance, fut chargé de transmettre verbalement les propositions aux souverains étrangers, que l’on désirait convertir à une idée ou entraîner à une action. Deux de ces missions me sont connues ; si j’en rapporte les détails, c’est que le prince Napoléon ne me les a pas cachés.

Se souvient-on que, le 2 septembre 1856, un soulèvement légitimiste fut tenté à Neuchâtel, en Suisse, que le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV considérait comme une principauté relevant de sa couronne ? Le comte Pourtalès[1] abattit l’étendard de la Confédération helvétique, hissa le pavillon noir et blanc, s’empara même, je crois, de la citadelle et déclara Neuchâtel réuni à la Prusse. Ce fut un feu de paille, que les habitants du canton éteignirent facilement, mais on s’en émut à Berne et à Berlin ; des deux côtés on arma, et l’on échangea des notes diplomatiques assez aigres. Frédéric-Guillaume, roi féodal, quoique ivrogne, ainsi que le prouve sa correspondance avec Bunsen[2], réunit des troupes dans la Prusse rhénane et fit mine de vouloir commencer les hostilités. Napoléon III se mit en devoir de soutenir la Suisse et de combattre les revendications surannées de la cour de Berlin, mais, avant de charger les fusils, il voulut faire une tentative de conciliation et envoya le prince Napoléon près de Frédéric-Guillaume. Le prince avait ordre de stipuler le rachat de Neuchâtel et de dire au roi de Prusse qu’en cas d’agression de sa part la France appuierait la Suisse et que ce serait le commencement d’une guerre européenne, dont les résultats ne pouvaient être prévus.

Dès que le prince Napoléon fut arrivé à Berlin, il eut un entretien avec Frédéric-Guillaume, qui promit de prendre en considération la communication de l’empereur des Français et d’y faire une prompte réponse. Les jours passèrent et même les semaines ; le roi semblait éloigner à dessein toute conversation relative à la Suisse ; le prince Napoléon s’impatientait. Enfin, un soir, après avoir dîné au palais royal de Berlin, il s’approcha de Frédéric-Guillaume et lui dit qu’il ne pouvait plus attendre, que les lettres de l’Empereur le pressaient de

  1. Pourtalès (Louis-Auguste de), 1796-1870. De la vieille famille huguenote des Pourtalès réfugiée à Neuchâtel, il était lieutenant-colonel d’artillerie au service du roi de Prusse. (N. d. É.)
  2. Bunsen (Christian, baron de), historien et diplomate prussien (1791-1860). (N. d. É.)