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moins que courtisan du prince. Lorsque la guerre d’Orient, qui devait devenir l’expédition de Crimée et se terminer par la prise de Sébastopol, fut décidée, l’Empereur confia le commandement d’une division au prince Napoléon, et la reine d’Angleterre plaça le duc de Cambridge à la tête d’un corps de troupes anglaises ; de la sorte, deux princes du sang se faisaient équilibre et représentaient la personne des deux souverains alliés.

À la bataille de l’Alma, le prince Napoléon se conduisit « comme un vieux troupier » ; il tendait sa gauche aux Anglais et lança, le premier, ses bataillons en échelons pour escalader la falaise, dès que le mouvement tournant que Bosquet exécutait sur notre droite, presque en lisière de la mer, fut opéré. De l’aveu de tous, — je ne parle pas des généraux intéressés peut-être à le louer, je parle des plus minces officiers, — il fut à la hauteur de son nom et de sa mission, c’est-à-dire simple, brave et vigilant. Dans les combats d’avant-postes qui, lors de nos premières approches vers Sébastopol, se renouvelaient jour et nuit, il ne ménagea point ses hommes et ne se ménagea pas lui-même. À Inkermann, il mit sa division sous les armes, attendant les ordres pour se porter au secours des Anglais ou pour aller soutenir le général Lourmel, qui, comme un fou, avait couru jusqu’aux murs mêmes de Sébastopol. En toute occasion, il fit son devoir sans forfanterie comme sans hésitation.

À la journée d’Inkermann, qui fut terrible pour les Anglais, surpris, mal ralliés, mais héroïques, le duc de Cambridge vit, à côté de lui, son aide de camp coupé en deux par un boulet, au moment même où il lui adressait la parole. Il en ressentit une commotion dont le résultat fut une de ces perturbations mentales qui ne sont point rares dans la famille royale d’Angleterre. Le duc de Cambridge, devenu plus qu’un embarras pour Lord Raglan, dut abandonner la Crimée et fut ramené à Londres. Dès lors, la présence du prince Napoléon était un inconvénient dont les suites pouvaient être graves ; l’équilibre était rompu, il n’y avait plus, dans les armées alliées, qu’un seul prince du sang, un prince français, qui, par sa haute situation, pouvait exercer toute influence sur Lord Raglan, sur le général Canrobert et sur Omer Pacha.

Lord Cawley, ambassadeur de la reine du Royaume-Uni, demanda que le prince Napoléon rentrât en France, puisque