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se précipita en entraînant dans sa chute l’Empire et la France.

Que de fois j’ai entendu de bonnes gens, dont les scrupules n’obscurcissaient pas la conscience, dire : « Ah ! si j’étais à la place de Mme Cornu, je ne me gênerais guère pour me faire donner quelque prébende dont je vivrais à l’aise. » Non seulement elle ne demanda rien, mais elle rejeta les offres, qui ne lui furent pas ménagées. À part quelques babioles insignifiantes, comme on en échange dans toute intimité, elle n’accepta de l’Empereur qu’un seul cadeau qui avait de la valeur ; c’était un vase de jade sculpté, provenant du pillage — du honteux pillage — du Palais d’Été. Elle était pauvre, elle resta pauvre, elle mourut pauvre, fait rare dans une époque pareille et dans une situation où elle aurait eu tous les maltôtiers, tous les manieurs d’argent à ses pieds, si elle eût daigné leur laisser deviner les confidences que l’on aimait à lui faire. Son influence avait été si sérieuse qu’elle persista après Sedan, après la défaite et pendant l’invasion.

Au moment où les Allemands se mirent en marche sur Paris, elle se retira dans le département de Seine-et-Oise, à Longpont, non loin d’Épinay-sur-Orge, en face de la forêt de Sainte-Geneviève, où Mlle de Fontange, suivant Louis XIV à la chasse, entoura son front du ruban qui devait rendre son nom immortel. Tout auprès s’étend l’ancien domaine de La Gilquillière, qui aujourd’hui s’appelle Vaucluse et est un asile d’aliénés appartenant à l’Assistance publique. On y avait fait refluer beaucoup de malades de Paris ; la population de l’établissement était triplée. Le 14 septembre, les premières patrouilles prussiennes apparurent ; dès le lendemain, des officiers prenaient logement à Vaucluse ; un régiment de cavalerie campait dans les cours et épuisait les provisions.

Hortense Cornu apprit que l’asile était occupé et menacé de devenir lieu de garnison permanente. Elle écrivit au Prince royal de Prusse, et elle en recevait immédiatement un cartel de sauvegarde : « Défense à tout soldat allemand, quel que soit son grade, de franchir les grilles de Vaucluse. Autorisation pour tout employé de la maison de parcourir les routes afin de recueillir les objets de consommation nécessaires aux aliénés. Aucune contribution de guerre ne pourra être frappée sur les villages qui fournissent les appro-