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Quoi que l’on ait dit de l’empereur Napoléon III, quelles que soient les calomnies dont ses adversaires l’ont souillé, on peut affirmer que ses habitudes d’homme comme il faut ne se démentirent jamais. Malgré ses qualités neutres, il y eut en lui quelque chose de chevaleresque qui résistait naturellement à la bassesse de bien des conseils. La valetaille qui l’entourait en eût volontiers fait un alguazil rancunier et vindicatif. Il eut des aspirations plus hautes et comprit que tout talent dont s’honorait la France devait être respecté par lui. Il était, du reste, indulgent et ne savait guère sévir. Il faut que Des Varannes ait eu des allures bien compromettantes pour qu’il se soit décidé à lui faire donner un ordre d’embarquement. Il était supérieur à l’Impératrice, qui ne dédaignait rien, pas même la calomnie, encore moins la médisance, lorsque son amour-propre blessé était en cause. On le savait ; aussi n’était-elle pas aimée. La reine de Hollande — Sophie de Wurtemberg — m’en a parlé avec un mépris qu’elle ne cherchait pas à déguiser, et Hortense Cornu, qui fut près de l’Empereur une amie et une conseillère souvent écoutée, disait parfois : « Elle perdra l’Empire. »

Cette Hortense Cornu fut presque un personnage, en son temps ; les ministres, les ambassadeurs, les souverains mêmes comptaient avec elle ; dans l’humble condition dont jamais elle ne voulut sortir, elle exerça une influence considérable. « Elle avait l’oreille », comme l’on disait alors : elle l’eut si bien que ce fut elle qui décida Napoléon III à envoyer le prince Charles de Hohenzollern régner en Roumanie. C’était une petite femme très alerte, mièvre, grisonnante, avec de gros yeux saillants qui semblaient s’échapper de sa tête, bavarde comme un geai, toujours par voies et par chemins, exigeant tout en faveur des autres, ne demandant rien pour elle, se plaisant aux sollicitations, intrigante fieffée, spirituelle et très bonne. Depuis le jour de sa naissance, elle connaissait l’Empereur, qui était son parrain. Sa mère, qui s’appelait Lacroix, avait été la femme de chambre de confiance, pour ne pas dire la confidente, de la duchesse de Saint-Leu[1]. À Arenenberg, à Rome, à Londres,

  1. Récemment (novembre 1882), on s’est occupé d’Hortense Cornu dans les journaux, et l’on a dit que sa mère, dame d’honneur de la reine Hortense, était si belle qu’elle avait attiré l’attention