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Affaires étrangères avait également une organisation peu avouable, qui lui permettait d’entrouvrir les dépêches des ambassadeurs ; mais j’ai toujours ignoré comment elle fonctionnait.

Après le 2 décembre 1851, les correspondances des hommes qu’un décret avait expulsés de France étaient attentivement surveillées ; celles de Victor Hugo, qui s’était retiré à Guernesey, tenaient le cabinet noir en haleine et le forçaient à déployer toute son habileté. À cette époque, les timbres d’affranchissement n’étaient point usités ; on affranchissait seulement les lettres destinées à un inférieur ; la réforme postale n’avait pas encore été adoptée ; le port des lettres était relativement onéreux (1 fr. 20 de Marseille à Paris). Victor Hugo, qui n’a jamais passé pour prodigue, usait d’une méthode ingénieuse afin de ne pas affranchir ses lettres et de n’en point faire payer le port aux personnes — aux femmes — auxquelles il écrivait. On recevait une lettre timbrée de Guernesey — j’en ai reçu plusieurs, — lourde, dont le prix variait entre trois et sept francs ; on l’ouvrait, il s’en échappait quatre ou cinq lettres, accompagnées d’un petit billet : « Cher poète, du haut de mon rocher, ma pensée s’unit à la vôtre ; dans l’ombre qui m’enveloppe, votre souvenir est un rayon. V. H. » ; puis un post-scriptum : « Ayez la bonté, je vous prie, d’envoyer ces lettres aux adresses indiquées. »

Économie pour l’exilé ; travail pour le cabinet noir, où toutes ces lettres étaient lues, recachetées et replacées dans leur enveloppe. Plusieurs de ces lettres étaient d’un style que l’on n’eût pas soupçonné chez l’auteur de La prière pour tous et du Regard jeté dans une mansarde ; publiées, elles n’eussent point été à la louange de celui qui écrivait alors Napoléon le Petit et Les Châtiments. On les communiqua à l’Empereur, qui les jeta au feu. Sous ce rapport, il fut impeccable, et jamais il ne permit que l’on abusât d’un secret, même contre les adversaires qui se vantaient d’être irréconciliables.

L’un des ennemis les plus irréconciliables de l’Empire, dont je tairai le nom, était un faussaire ; lié avec une femme mariée, il en avait eu plusieurs enfants qui étaient adultérins ; pour leur assurer son nom et une situation légitime, il fit des déclarations mensongères aux officiers de l’état civil ; faux en écritures publiques ; crime qualifié, que la morale