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à la fois politique et mondaine ? je ne sais. Elle résolut de faire fermer toute porte devant la princesse Jablonowska et elle écrivit le factum auquel Henry de La Madelène ne sut pas refuser sa signature.

Bonnin s’était déclaré désintéressé dans la question : Henry de La Madelène respirait ; mais il n’était point à bout d’angoisses. Le prince Jablonowski reçut l’article par lettre chargée. Il accourut de Turin, fut mis au fait de ce qui s’était passé au ministère de la Marine et, se souciant médiocrement de politique, ne se souciant pas du tout de l’ambassadrice d’Autriche, il provoqua Henry de La Madelène. Celui-ci commençait à trouver que, malgré les primes de cinq cents francs, ce n’est pas tout profit d’endosser les médisances des princesses étrangères ; il parlementa, il argumenta. Peine inutile ; le vieux Polonais était têtu : ou un duel, ou une déclaration publique que l’article avait été rédigé par la princesse de Metternich. Henry de La Madelène préféra se battre ; on alla sur le terrain ; il y fut de si piteuse attitude que Jablonowski leva les épaules et s’en alla. Arthur Kratz, conseiller référendaire à la Cour des Comptes, secrétaire intime du ministre de la Marine, m’a raconté cette aventure, et la marquise de Chasseloup-Laubat m’en a confirmé les détails.

La princesse de Metternich chanta victoire et put crier : Ville prise ! La pauvre Jablonowska fut montrée au doigt et traitée d’aventurière. Elle retourna en Italie et trouva sa place occupée près de Victor-Emmanuel.

Cette histoire, enjolivée de toute sorte de détails, amusa l’Impératrice, qui se plaisait aux cancans et en faisait ses gorges chaudes. Quand Cochonnette, Cornichonnette et Cocodette étaient réunies chez l’Impératrice des Français, on ne ménageait guère le prochain, et dans les réputations les mieux forgées on savait trouver la paille. Ce n’est pas que l’on manquât d’indulgence, au contraire ; on en avait plus qu’il ne fallait. Lorsqu’il y avait déplacement à Compiègne ou à Fontainebleau, les quatre bonnes amies étudiaient ensemble la liste des séries d’invités. On connaissait les liaisons de ceux-ci, les amourettes de ceux-là, et, avec une commisération qui porte un nom brutal dans le langage populaire, on avait soin de rapprocher, dans la distribution des logements, les personnes dont l’intérêt semblait être de n’être pas séparées.