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justification de la souveraineté. Bien plus, parmi ses conseillers, nul ne songea à l’engager dans une belle aventure par où les connaissances humaines s’accroissent et se fortifient.

Le desideratum géographique du XIXe siècle, le centre de l’Afrique, ne tenta point sa curiosité ; les Anglais, les Allemands, les Italiens, les Américains n’épargnèrent point leurs efforts pour pénétrer le mystère ; la France y resta indifférente, malgré ses colonies de l’Algérie, du Sénégal et du Gabon ; à peine deux ou trois de nos compatriotes — Guillaume Lejean, Le Saint — ébauchèrent-ils une petite tournée que l’insuffisance de leurs ressources condamnait d’avance à la stérilité et à la dérision. Et ces voyages de circumnavigation que les Bourbons des deux branches excellaient à mettre en œuvre, ces périples féconds qui déployaient le drapeau de la France sur toutes les parties du globe, nul ne s’en soucia, ni au palais des Tuileries, ni au ministère de la Marine. L’énormité des budgets permettait cependant ces prodigalités superbes, dont tant de savants auraient profité. On ne soupçonnait pas sans doute que la découverte d’une plante nouvelle, d’un animal inconnu, d’une terre ignorée est un bienfait, une conquête, un progrès pour l’humanité. Ce sont des choses, cependant, qu’il faut connaître, lorsque l’on est souverain, sous peine de ne point savoir son métier.

Saisi tout entier par la politique, comprimant l’Intérieur, regardant vers l’Extérieur toujours menaçant pendant son règne, Napoléon III négligea les actions idéales, qui sont un rayonnement autour des couronnes. S’il eut des loisirs, il les employa à faire fonction d’homme de lettres, ce qui fut au moins déplacé. Il commença une histoire de César, que sa chute interrompit. On l’aida, ai-je besoin de le dire ? Alfred Maury[1], de l’Institut, Saulcy[2], Longpérier[3], Mérimée, qui était toujours là quand il s’agissait de servir, recueillaient les notes et les classaient. Le colonel Reyffie reconstituait la balistique des anciens ; l’amiral Jurien de La Gravière[4] diri-

  1. Maury (Alfred) 1817-1892, érudit et archéologue, membre de l’Académie des Inscriptions depuis 1857. (N. d. É.)
  2. Caignart de Saulcy (1807-1880), archéologue, membre de l’Académie des Inscriptions depuis 1840, nommé sénateur en 1854. (N. d. É.)
  3. Prévost de Longpérier (1816-1882), archéologue, membre de l’Académie des Inscriptions depuis 1854. (N. d. É.)
  4. Jurien de La Gravière (1812-1892), amiral, auteur de divers ouvrages sur la marine, membre de l’Académie des Sciences et de l’Académie française. (N. d. É.)