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« Quinze jours ou trois semaines plus tard, le comte de Lavradic, ministre de Portugal à Londres, vint à Claremont faire visite à la princesse de Joinville, qui est Brésilienne ; elle le reçut tout éplorée de la tournure que prenaient les affaires en France et ajouta que c’était très affligeant, surtout pour elle qui devait être à Paris le 20 !

« Tout ceci prouve clairement que, si le Président n’avait pas frappé le coup au moment où il l’a fait, il eût été lui-même infailliblement renversé[1]. »

J’ai entendu dire au comte de Morny que la première dépêche qu’il avait expédiée, en prenant possession du ministère de l’Intérieur, le 2 décembre 1851, avait été adressée à Claremont, pour signifier aux princes d’Orléans que, s’ils mettaient le pied en France, leurs biens seraient confisqués. Cette dépêche aida peut-être à l’avortement du projet que Lord Palmerston a fait connaître ; en tout cas, elle ne fut pas considérée par le Président comme ayant valeur de contrat, car il confisqua les biens. « C’est le premier vol de l’aigle », avait dit le vieux Dupin. Morny se retira immédiatement et donna sa démission motivée. Le décret de confiscation, qui est du 22 janvier 1852, fut peut-être un acte légal, mais ce fut un acte impolitique, que le prince Louis-Napoléon aurait dû s’épargner. Le protocole du décret était bien fait, au point de vue historique, et d’une logique très serrée. On en fit honneur à Teste, l’ex-ministre, qui avait été condamné par la Cour des pairs pour cause de malversations dans l’administration des deniers publics. C’est une erreur. Ce libellé est l’œuvre d’un ancien avoué qui se nommait Coffinières.

En faisant le coup d’État, que sept millions de voix devaient ratifier, le Président s’emparait violemment du pouvoir, que les élections du mois de mai 1852 lui eussent certainement conservé, avec quelque apparence de légalité. À ce moment, toute la population de la France était pour lui et l’eût maintenu. Il est bien probable que s’il a eu recours à l’arbitraire, c’est qu’il savait, à n’en point douter, que les représentants ou les Orléans tenteraient contre lui un acte de force qui pouvait réussir. Malgré les précautions prises, malgré l’énergie du comte de Morny, malgré l’armée qui obéissait sans hésiter, il était inquiet sur l’issue définitive et

  1. Biographie de Lord Palmerston, par l’Honorable Evelyn Arthley, membre du Parlement ; Londres, 1876, t. I, p. 287.