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de ceux qui poussaient le plus énergiquement au coup d’État.

Un jour qu’il en causait avec le Prince Président, celui-ci lui dit qu’il y songeait et lui parla de la mission qu’il avait confiée à Génie. Fleury se récria : Quoi ! encore un gouvernement parlementaire, encore des bavards, encore des avocats, encore des ministres imposés, encore des avanies à subir ; non, ce qu’il faut, c’est la destruction de la tribune, c’est le pouvoir personnel, c’est la souveraineté responsable, en un mot c’est l’Empire. La population est lasse des discussions stériles ; elle applaudira si on y met fin ; elle acclamera celui qui la débarrassera de cette logomachie, de ce byzantinisme auxquels elle ne comprend rien. Pour mener cette œuvre vigoureusement et en assurer le succès, un homme de résolution est nécessaire. Cet homme, il le connaît, et, si le Prince Président ne s’y oppose pas, il ira le chercher lui-même, car il n’est pas en France, il est à Constantine : c’est le général de brigade Leroy de Saint-Arnaud.

Fleury prêchait un converti et obtint l’autorisation de partir. Il se joignit à l’état-major de Saint-Arnaud qui allait faire campagne dans la Petite Kabylie. Entre l’émissaire de l’Élysée et le général africain, l’accord n’avait point été difficile à conclure[1]. Homme d’expédients aussi et soldat de premier titre, Saint-Arnaud n’avait point hésité ; il eût donné son âme au diable, il ne la refusa pas au prétendant. En voyant sa fortune excessive, les clairvoyants auraient pu deviner l’avenir. Coup sur coup, il est nommé général de division, 10 juillet 1851 ; commandant la 2e division de l’armée de Paris, 26 juillet ; ministre de la Guerre, 26 octobre. Plus que jamais, Thiers pouvait s’écrier : « L’empire est fait ! » Les deux hommes qui ont le plus contribué au coup d’État sont le comte de Morny, pourvu du ministère de l’Intérieur, ne reculant devant aucun acte arbitraire pour briser la résistance légale, et le chef d’escadron Fleury, décidant Saint-Arnaud à mettre son énergie et son habileté au service du prince Louis.

Les faits que je viens de raconter sont-ils vrais ? Je le crois. J’en ai eu une confirmation indirecte, qui n’est point sans valeur. Lorsque j’écrivis mes Souvenirs littéraires, la Revue des Deux Mondes en publia, dans sa livraison du

  1. Fleury semble être arrivé en Algérie vers la fin du mois d’avril 1851 ; le 5 juin, il prit congé du général de Saint-Arnaud pour rentrer en France.