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lièrement douloureuse : notre population a diminué de 16 pour 10 000[1].

Quant à la cause de cette natalité inférieure, M. Lagneau n’hésite pas à l’attribuer au sentiment de prévoyance égoïste des parents. Dieu bénit les familles nombreuses, dit un vieux proverbe, et le vieux proverbe a raison. C’est l’accroissement de la population, c’est la confiance dans la destinée, qui ont grandi la fortune de l’Angleterre et lui ont permis de coloniser le monde ; ce sont les mêmes causes qui ont établi la puissance de l’Allemagne et qui, sans l’appauvrir, lui laissent peupler l’Amérique, où plus tard elle trouvera peut-être des alliés redoutables pour l’Europe. Ce vice — au point de vue social, il n’en est pas de plus coupable — parait être essentiellement catholique et latin : les protestants y échappent plus que nous, les Juifs le condamnaient dès la Genèse, les musulmans l’ignorent. Il a toujours régné chez nous, il a été dans bien des cas l’auxiliaire des grandes fortunes, et dans les lettres de madame de Sévigné on peut voir avec quelle insistance on le préconise. Mais les résultats qu’il a produits sont de nature à nous éclairer. Nous lui devons notre incapacité coloniale et la stérilité, sinon la perte, de nos possessions d’outre-mer. Nous semblons prendre à tâche de nous amoindrir chaque jour en présence de la fécondité imposante et normale de la race saxonne. L’existence matérielle est très-onéreuse en France, on peut en convenir, mais notre vanité l’est encore plus, et le besoin de vivre ou, pour mieux dire, de paraître vivre dans un luxe supérieur à la situation réelle, a amené une ré-

  1. La statistique officielle fournit des chiffres bien plus inquiétants ; d’après les documents qu’elle publie, la diminution totale de la population occupant le territoire actuel de la France est de 491 905 âmes, ce qui donne l’énorme proportion de 129 pour 10 000. La diminution absolue est de 2 089 143 âmes ; c’est-à-dire que la conquête de l’Alsace-Lorraine nous a enlevé 1 591 238 compatriotes.