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voyageur est frappé du nombre prodigieux de tombeaux vides qui trouent les rochers et bordent les routes ; où donc sont-ils les morts de tant de tombes ? Ils sont dans le genre humain ; ils chantent avec les poëtes, parlent avec les orateurs, méditent avec les philosophes, ils sont dans l’atelier des sculpteurs et des peintres, ils encouragent les architectes et définissent les règles du beau ; l’âme d’Athènes est dans le goût, dans les mœurs, dans la science, dans le langage universels, comme l’âme de la Rome césarienne est dans le droit et dans la jurisprudence, comme l’âme de la Rome catholique est dans la morale. C’est le destin de certaines agglomérations humaines d’où se dégagent des courants pénétrants d’intelligence et de vérité ; elles sont impérissables ; leur expansion semble indéfinie et se prolonge à travers les temps, malgré leur mort apparente.

Quel que soit le sort qui attende Paris lorsque les âges lointains et mystérieux auront clos ses destinées, qu’il soit, comme la Thèbes aux cent portes, couché le long de son fleuve, jonchant la terre de ses immenses ossements ; qu’il soit comme Ninive, comme Babylone, une énigme archéologique proposée à la sagacité des savants futurs ; qu’il soit comme Athènes, un fantôme d’une grâce incomparablement touchante ; qu’il ait comme Rome des fortunes successives et adverses ; que comme Constantinople il voie dormir un peuple de barbares ignorants ; qu’il meure demain, qu’il meure dans vingt siècles ; qu’il s’éteigne dans sa propre indolence, qu’il continue sa vie de crimes, de hauts faits, de vices et de vertus, qu’importe ! Le nombre des idées qu’il a jetées dans le monde fait son âme immortelle ; celle-ci ne peut périr, car elle appartient à l’humanité, qui depuis longtemps s’en est pénétrée.


fin du sixième et dernier volume.