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que fleurissent les orateurs d’atelier et de cabaret, ceux qui parlent de « revendication », de « droits imprescriptibles », de « la tyrannie du capital », de « l’exploitation de l’homme par l’homme », et qui abusent, jusqu’à la nausée, de cette logomachie où les mots sont d’autant plus vides qu’ils sont plus redondants. L’idéal de ces hommes est facile à définir : L’égalité des droits ne leur importe guère, ils veulent l’égalité des jouissances. L’homme de cette catégorie n’est pas bon, nul raisonnement ne le ramène, car il souffre d’une sensation persistante et tenace, qui est le mépris de sa condition et la jalousie de celle d’autrui. De la civilisation qui l’entoure et lui fournit sa subsistance, il n’a remarqué que les côtés défectueux ; il a vu les enrichis tomber dans la paresse et dans les plaisirs, sinon dans la débauche ; il a vu que la sottise et la morgue des fortunes héréditaires n’étaient égalées que par la morgue et la sottise des fortunes acquises ; en regardant les filles sorties du groupe auquel il appartient rouler carrosse, porter des falbalas, vivre dans la familiarité des princes, avoir livrée et se bâtir des hôtels, il s’est demandé à quoi servaient le travail et l’économie qu’on lui vantait ; il a été irrité par un luxe dont il est le témoin éloigné et redouté ; il ne s’est pas dit que ce luxe excessif, agressif, insolent, lui valait de gros salaires ; non, il s’est dit : À quoi bon travailler, puisque ceux qui ne font rien ont toutes les joies ? De là, d’une âpre convoitise vers les jouissances matérielles, est née l’idée de se substituer, n’importe par quel moyen, à ce que la haine de ces hommes appelle « les classes dirigeantes et privilégiées ». Leur principale préoccupation est de fonder, d’organiser dans la tribu ouvrière dont ils font partie, une association, une caisse, une société quelconque dont ils obtiennent la direction rémunérée, ce qui leur permet de quitter leur outil qui leur fait horreur et les humilie.