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se lever pour renverser l’ordre de choses établi, quel qu’il soit. Par les noms et les faits que nous avons indiqués plus haut, on sait que ces hommes n’appartiennent pas à la cité et qu’ils y sont venus de l’extérieur. Dès le quatorzième siècle, on peut dire de Paris ce que dans ses Annales Tacite a dit de Rome : Quo cuncta undique atrocia aut pudenda confluunt, celebranturque ; « l’on y voit affluer de toutes parts et accepter avec empressement tout ce qui est atroce et honteux. » C’est le grand pays des convoitises ; il exerce sur les imaginations une sorte de fascination diabolique ; pour ceux qui n’y sont pas nés, il est plein de promesses, il en sort un souffle d’illusion ; comme les sirènes d’Homère, il appelle, il attire ; qui peut résister à la chanson des espérances ? Il n’est fortune si haute qu’il ne laisse entrevoir aux audacieux ; sa voix porte loin et est toujours écoutée ; à la paysanne en sabots, fatiguée de tourner son rouet ou de soigner ses vaches, il raconte les aventures de Jeanne Vaubernier qui fut quasi reine de France ; au fils du cordonnier admis par charité dans le séminaire de sa petite ville, il murmure l’histoire du cardinal Maury ; à tous, à toutes, il montre un avenir riche, honoré, plein de plaisirs, de ces plaisirs dont l’appétit s’éveille avec férocité dans l’existence renfrognée et surveillée de la province.

L’Angleterre va aux Indes, l’Allemagne part pour l’Amérique, la Russie défriche ses immenses territoires, l’Italie envoie ses colons vers Montevideo et le Mexique ; la France émigre à Paris. Pour les provinciaux, Paris représente ces pays vagues, mal définis, entrevus à travers des songes d’or, exagérés par le récit des voyageurs et qu’autrefois on nommait « les Îles ». Tous ceux qui sentent fermenter en eux le levain des ambitions font leur paquet et nous arrivent, espérant que l’on dira d’eux un jour ce que l’on a dit de tant de million-