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poléon, où les mouches ont leur gare, une forte patache est amarrée près du quai de la rive droite. Elle est la gardienne du fleuve, qu’elle fait surveiller, quand la nuit vient, par trois vigies ; l’une est placée à l’arrière même de ce poste aquatique, la seconde est sur la rive droite, la troisième sur la rive gauche. Pour s’avertir et prouver qu’ils ne dorment pas, les préposés appellent les heures, les demies, et doivent se répondre ; cela rappelle le cri des matelots en mer : bon quart, bâbord ! — bon quart, tribord ! — Par un ciel brumeux noyant le vague scintillement des becs de gaz, à travers le clapotement de l’eau et les bourrasques de vent engouffrées sous les arches du pont, on éprouve une impression assez lugubre lorsqu’on entend ces voix invisibles pousser une sorte de plainte prolongée et traînante, — demi heure ! — qui affirme leur vigilance.

À la patache, on ne fait qu’une vérification sommaire ; un bateau, — fruits, bois ou charbon, — se présente ; deux préposés montent en canot et vont le reconnaître, ils acceptent la déclaration, en donnent bulletin : elle sera constatée au point de débarquement où les opérations régulières auront lieu. Pour conduire son canot, la patache a un marinier qui mérite d’être présenté au lecteur : c’est un gars solide et bien râblu, des épaules d’Atlas, un bras d’Hercule, un visage d’une extrême douceur ; il est jeune et porte allègrement la vareuse du marin. Il passe son temps à repêcher les noyés ; il a tant de médailles d’argent, tant de médailles d’or, que, ne sachant plus que lui offrir pour récompenser sa belle conduite au combat de Buzenval, on lui a donné la croix de la Légion d’honneur, et l’on a bien fait. La patache est très-fière de son marinier, et elle n’est pas éloignée de croire que c’est elle-même que l’on a décorée[1].

  1. Ce marinier, né le 21 août 1836, entré au service de l’octroi le 20 janvier 1863, se nomme Louis-Philibert Michel.