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guère, — mais par esprit de contradiction ; le contre-pied lui est naturel et il n’a besoin d’aucun effort pour être d’un avis opposé à celui qu’il entend émettre. « Il y a chez eux des partis différents, non-seulement dans chaque ville, dans chaque bourg, dans chaque village, mais encore dans chaque maison. » Est-ce un moraliste moderne qui, après avoir constaté notre état politique et social si profondément morcelé, s’exprime de la sorte ? Non ; c’est César, lorsqu’il parle de nos pères, les Gaulois.

Les gens à courte vue, douloureusement affectés par le spectacle qui frappe leurs yeux, accusent notre époque, lui reprochent d’être d’une immoralité exceptionnelle et font porter à notre temps le poids de toutes les malédictions : notre temps ! notre temps ! Les plus férus en humanités s’écrient : O tempora ! o mores ! En était-il donc autrement jadis, et seuls avons-nous le privilège de la dépravation ? L’histoire et la poésie répondent ; depuis le vieux Nestor qui trouvait ses contemporains dégénérés, jusqu’aux vieillards de nos jours qui vitupèrent la corruption des jeunes gens, le même fait se reproduit. Dégoûté du présent, on se retourne vers le passé et on lui attribue des vertus qu’il n’a jamais soupçonnées. Cela est humain.

En voyage, on traverse des landes arides, trouées çà et là de marécages saumâtres ; les lichens, comme une lèpre vive, tachent les blocs de grès répandus sur les sables ; les arbres épuisés n’ont qu’un feuillage misérable ; on s’éloigne de ces lieux désolés où souffle l’air attristant des solitudes. Lorsque l’on a fait quelques lieues, on se retourne et l’on reste stupéfait d’apercevoir un paysage magnifique ; toutes les laideurs choquantes perdues au fond des transparences de l’horizon forment un ensemble merveilleux de lignes et de couleurs ; on admire et l’on se croit le jouet d’une illusion.