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les autres capitales sont moins amoureuses de futilités. Cette sorte de servilité intellectuelle n’empêche pas le Parisien d’avoir l’esprit d’à-propos porté au plus haut degré : il lui suffit parfois d’un mot pour définir une situation. À Mexico, pendant que le choléra décimait nos troupes, un soldat écrivit sur les murs du cimetière : « Jardin d’acclimatation. » Ce soldat était un Parisien, il n’en faut pas douter.

De tels contrastes se retrouvent souvent chez lui. Il en est un qui forme un de ses caractères distinctifs, qui généralement a été mal compris et qui est plus apparent que réel. Il est ivre d’égalité, le Parisien, mais il est surtout ivre de distinctions. Tout homme rêve la croix, et il y en à qui meurent de ne l’avoir pas obtenue. L’égalité, telle qu’on l’admet et qu’on la pratique en France, ne signifie pas que les citoyens doivent avoir des droits pareils, ne porter aucun titre et vivre dans une sorte d’état moyen intermédiaire entre l’oligarchie et la démocratie ; elle signifie que tout individu, quels que soient sa naissance et son point de départ, peut parvenir aux plus hautes dignités. Rostopchin, que je cite encore, écrivait avec étonnement : « J’ai diné chez le duc de Richelieu à côté d’un chimiste qui est pair de France et grand-croix de la Légion d’honneur, » Or cette anomalie, contraire aux traditions des vieilles sociétés, qui crée une sorte de contradiction entre ce que Saint-Simon eût appelé « la bassesse de l’extraction » et l’importance des fonctions exercées, est peut-être ce qui tient le plus au cœur du Parisien. Il dédaigne ce que l’on doit à la naissance et recherche avec ardeur ce que l’on doit au mérite.

J’ai été témoin d’un fait qui m’a singulièrement frappé et qui est un précieux commentaire de cette aspiration vers les grandeurs acquises. — En 1857, un dimanche, j’étais assis aux Champs-Élysées ; le temps