Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/303

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France, et comme ils n’auraient point réussi, ils auraient tous deux été déclarés traîtres à la patrie. Du reste, si le Parisien aime à renverser les idoles qu’il a dressées lui-même, il ignore absolument le sentiment de la reconnaissance. Cela tient à sa nature — j’allais dire à son sexe, car la France est femme ; il est infidèle et ingrat. Il voulut déchirer le cadavre de Colbert, et sur la porte de Sully, inconsolable de la mort de Henri IV, il écrivit : Valet à louer.

Cet engouement peu durable que lui inspirent certains hommes, il l’éprouve aussi pour d’inexcusables niaiseries. Une épidémie de bêtise se répand tout à coup sur Paris ; la maladie est incurable, chacun y cède ; on entend crier : Ohé Lambert ! ou bien : Et ta sœur ? On chante : Il a des bottes, Bastien ! D’où viennent ces sornettes ? Nul ne le sait : de quelque atelier de rapins sans doute ; elles descendent dans la rue, passent en province et font souvent le tour du monde. Le mal a quelquefois une autre forme, qui n’est ni moins sotte ni moins odieuse. Il y a quelques années, la mode fut d’imiter un cabotin de vingtième ordre, dont l’unique mérite était d’avoir la voix éraillée ; on n’y manquait nulle part, ni dans les brasseries, ni dans les salons. Cela s’appelle une scie, et en réalité c’est un instrument de supplice.

La manie des calembours, des intercalations de mots a fait plus d’une victime. Il fut un temps où des gens qui n’étaient point naturellement trop bêtes, croyaient faire preuve d’esprit et riaient à gorge déployée en disant : Je crains de cheval que l’on ne me trompe d’éléphant. Ces accès d’ineptie se reproduisent très-fréquemment, et le mal qu’ils déterminent est toujours aussi insupportable que celui qu’ils remplacent. Cela est essentiellement parisien : désœuvrement, esprit d’imitation, entraînement irréfléchi ; sous ce rapport, du moins,