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donc à former ce budget de recette qui frappe chacun d’une contribution d’autant plus insignifiante qu’elle est quotidienne et se solde, jusqu’à un certain point, sans que l’on s’en aperçoive.

Les denrées coûtent-elles aujourd’hui plus cher qu’autrefois ? J’en doute ; mais il est certain que les espèces métalliques et la monnaie fiduciaire qui les représente, ont singulièrement diminué de valeur. La prodigieuse quantité de métaux précieux jetée sur le monde depuis une trentaine d’années a bouleversé les rapports qui existaient entre la valeur nominale et la valeur réelle. Le métal trouve un principe d’avilissement dans l’abondance même ; ce qui nous coûte dix francs aujourd’hui valait un petit écu il y a soixante ans ; le prix de l’objet n’a pas varié, seulement notre pièce de dix francs vaut précisément le petit écu de nos pères. Ce fait seul suffit à expliquer l’énormité de nos budgets et l’augmentation apparente de nos dépenses[1].

L’hectolitre de vin acquittait en 1790 un droit de 22 fr. 30 cent. ; aujourd’hui, l’octroi, le trésor, les décimes et doubles décimes le frappent d’une taxe de 22 fr. 87 cent. 5 mill. En réalité, le vin paye aujourd’hui moitié moins qu’au moment où la monarchie allait disparaître. Cela du reste importe fort peu à la partie véreuse de la population, qui fait la fortune des cabaretiers et où se recrutent toutes les insurrections ; le 25 février 1848, je me rappelle avoir vu sur les murs du ministère des affaires étrangères, situé alors au coin du boulevard et de la rue des Capucines, l’inscription

  1. Je rappelle que pendant la durée du dix-huitième siècle toutes les monnaies de France n’ont point frappé trois milliards, et qu’à notre époque, en l’espace de seize ans, du 1er janvier 1853 au 31 décembre 1868, nous avons émis 6 167 642 283 fr. 50 c. — Parlant de l’avilissement progressif du prix de l’argent, Michelet l’appelle : « Ce grand phénomène économique que le moyen âge n’a pas compris » (Hist. de France, t. IV, p. 230-1415). Dans les temps modernes, la masse de la population ne l’a pas compris davantage.