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et un ensemble de traditions qui se transmet comme un héritage sacré. Malgré quelques intrusions regrettables, la compagnie y est restée bonne, dans toute l’acception du terme, et c’est là encore qu’il faut aller frapper, c’est devant ce public un peu froid, mais lettré, qu’il faut comparaître, lorsqu’on est à la recherche d’un succès de bon aloi. L’oreille y est charmée plus que les yeux, et les amateurs de « tableaux vivants » n’ont qu’à s’en éloigner. Un peu de jansénisme ne messied pas, même au théâtre, et repose de toutes les exhibitions fort peu spiritualistes dont on est fatigué sur les scènes inférieures.

On put craindre un moment que la Comédie-Française ne fût menacée par des concurrences sérieuses, lorsque le décret du 6 janvier 1864, imitant celui du 19 janvier 1791, proclama la liberté des théâtres. L’ancien répertoire — tous nos chefs-d’œuvre — dont les Français partageaient l’interprétation privilégiée avec l’Odéon depuis 1807, n’allait-il pas être accaparé, mis en scène, exploité par les autres théâtres ? L’inquiétude ne fut pas de longue durée ; s’il est facile de jouer les traîtres et les tyrans de mélodrame, il n’est point aisé de s’identifier à Tartuffe, au Misanthrope, à Célimène ou à Figaro ; quelques tentatives ne furent point heureuses, et les petits théâtres reprirent promptement les sottes pièces qui plaisent à leur gros public.

Le théâtre, dit-on volontiers, est l’école des mœurs : Castigat ridendo mores. C’est un mot et rien de plus. Les mœurs et le théâtre se donnent la réplique et agissent par répercussion. Les mauvaises mœurs engendrent les mauvaises pièces, et les mauvaises pièces développent les mauvaises mœurs. Lorsque la prostitution provocante et hardie étale ses impudeurs au grand jour, on met les filles en scène, et lorsqu’on met les filles en scène, on attire l’attention sur elles ; c’est un cercle