Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se renouvellent sans cesse, et dont la curiosité n’est point émoussée. Tel drame qui jadis aurait eu quelque peine à atteindre la quinzième représentation, en a facilement cent cinquante aujourd’hui.

Des pièces très-oscillantes pendant la première semaine, c’est-à-dire pendant les jours où le public réellement parisien va les voir, se relèvent, s’affermissent et vivent de longs mois, parce que le public extérieur, désœuvré, ne sachant comment employer ses soirées, a pris possession de la salle. C’est pour ce public indulgent entre tous et facile à charmer que l’on a inventé un genre de spectacle spécial fort en vogue depuis quelques années, et que l’on appelle d’un nom brutal qui le dévoile : les pièces à femmes. Ce n’est pas à l’esprit que celui-là s’adresse, tant s’en faut ! Une intrigue quelconque étant admise, on la délaye en plusieurs actes entremêlés de ballets.

On prend dans les magasins de modes, dans les ateliers de couturières, dans les petits appartements meublés loués au mois, le plus de femmes jeunes et jolies que l’on en peut trouver : à trente sous par soirée, on a du choix. On les habille ou, pour mieux dire, on les déshabille à l’aide de costumes éclatants, toiles d’or et d’argent, soie et velours ; on leur découvre les jambes, les bras, les épaules, jusqu’à la limite où la police pourrait intervenir. On allume les feux de Bengale, on dispose les lumières électriques ; les décors, dont la richesse est centuplée par l’éclat des becs de gaz multipliés, représentent un palais des Mille et une Nuits ou des grottes étincelantes de stalactites. La musique fait rage dans l’orchestre. Alors on pousse toutes ces bandes décolletées devant le public, comme dans les contes de fées on jette une viandée de chair fraîche à l’ogre pour apaiser sa faim.

Ce n’est pas là du théâtre ; ce n’est que du spectacle,