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C’est les insulter gravement que de les appeler croque-morts, mais ils trouvent fort naturel de dire : J’ai fait un saumon, un hareng ou un éperlan ; ce qui signifie : J’ai porté le corps d’un riche, d’un pauvre ou d’un enfant ; » cela ne les empêche pas d’être de fort braves gens et très-dévoués à leur lugubre besogne. On pourrait penser que de vivre toujours au milieu des tentures noires et d’avoir pour fonctions spéciales de manier des cercueils dispose à la mélancolie ; ce serait une erreur. La plupart de ces hommes sont gais, si gais que plusieurs figurent, le soir, dans les ballets-pantomimes de certains théâtres et que l’un d’eux obtint, sous le sobriquet de Clodoche, une certaine notoriété aux bals masqués de l’Opéra. Ils ont un défaut qu’il est vraiment superflu de signaler, car chacun le connaît : ils aiment le pourboire, ils l’aiment jusqu’à la fureur ; l’administration fait ce qu’elle peut pour les empêcher de harceler les familles, mais elle n’y parvient pas. À la maison mortuaire, ils redoutent l’ordonnateur, dont le rapport peut les faire mettre à pied, et ils se contiennent ; au cimetière, ils sont attentivement surveillés par les gardes, qui reçoivent à cet égard des ordres spéciaux et souvent renouvelés. Ils en sont réduits à attendre les familles sur les boulevards qui avoisinent nos champs de repos ; là ils sont hors de l’atteinte, j’allais dire de la juridiction des gardes ; l’ordonnateur est parti, nul ne les gêne ; alors commencent des quémanderies sans fin qui ont parfois donné lieu à des plaintes dont la préfecture de police a dû s’émouvoir.

La loi a déterminé le délai qui doit exister entre le décès et l’inhumation ; l’article 77 du Code civil dit expressément : « Aucune inhumation ne sera faite que… vingt-quatre heures après le décès, hors les cas prévus par les règlements de police. » Ce laps de temps a paru nécessaire et permet de ne point confondre la