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condamnable, fut une des plaies de l’ancienne société française. Le besoin d’argent et l’âpreté au gain se trouvaient mis face à face par les mille circonstances de la vie, et le scandale des bénéfices illicites n’avait point de bornes. L’opération était fort simple et rendait l’emprunteur doublement dupe. Celui-ci s’adressait à l’un de ces industriels sans scrupule, que l’on appelait indifféremment Juifs ou Lombards, et en recevait, au lieu de valeurs ayant cours, une série d’objets mobiliers évalués à des prix léonins ; c’étaient ordinairement des défroques inutiles, parmi lesquelles on pouvait rencontrer « une peau de lézard de trois pieds et demi, remplie de foin, curiosité agréable pour pendre au plancher d’une chambre, » ainsi que dit le mémoire lu par La Flèche et rédigé par Harpagon.

Ces bric-à-brac de toute sorte, que l’argot des bimbelotiers modernes qualifie de « rossignols », étaient engagés ou vendus à neuf dixièmes de perte, chez des individus qui le plus souvent n’étaient que les agents secrets du prêteur. Ce genre de commerce, ou, pour mieux dire, ce genre de vol habilement organisé, était tellement répandu à Paris dans le dix-huitième siècle, faisait des gains si excessifs et avait si profondément pénétré les habitudes, que l’on considérait comme probes et modérés les prêteurs sur gages dont le bénéfice ne dépassait pas 10 p. 100 par mois, — 120 p. 100 par année, — sans compter les droits fixes de commission, d’écriture et de manutention ; — à 150 pour 100 d’intérêt annuel on restait galant homme dans ce métier-là.

De si criants abus, qui s’étalaient impudemment au grand jour, frappaient tous les yeux et révoltaient les cœurs honnêtes ; mais nul n’osait y porter la main. Aux plaintes du public, aux observations des magistrats, on répondait l’éternel mot qui sert d’excuse à toutes les