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cessiter une mesure radicale, une mesure de salut public ; le mot n’a rien d’excessif, car, lorsque le vent du nord soufflait, Paris entier était sous l’haleine empestée de l’immense cloaque qui l’enveloppait, de la Bastille à Chaillot, d’une demi-ceinture d’immondices et de putréfaction. Un arrêt du conseil en date du 26 mars 1737 enjoignit au prévôt des marchands de hâter l’œuvre de salubrité, d’acheter les terrains nécessaires et de reconstruire le grand égout.

Michel-Étienne Turgot, — père du grand ministre, — occupait alors la prévôté des marchands ; c’était un homme de bien, actif et intelligent. Il mit les fers au feu, comme on dit, et en 1740 il avait terminé le grand égout, qu’il avait reporté un peu plus au nord. Il avait fait un canal, revêtu de forte maçonnerie et ayant un lit de pierres de taille ; les murs avaient environ cinq pieds de hauteur et formaient des trottoirs d’où il était facile de le nettoyer, mais il coulait toujours à ciel découvert. Turgot fit plus : il creusa un réservoir à la tête de l’égout, boulevard des Filles-du-Calvaire, y réunit les eaux de Belleville et les lâcha dans le canal, qu’elles curaient sans peine. Le travail fut jugé d’une beauté incomparable, et le roi Louis XV, accompagné de tout le corps municipal, vint en grande cérémonie assister à l’entrée de l’eau du réservoir dans l’égout. Le procès-verbal dit : « Le roi resta dans cet endroit environ une grosse demi-heure, pendant laquelle il ne cessa de parler à M. le prévôt des marchands sur la beauté de cet ouvrage[1]. »

  1. Il en fut de l’égout Turgot comme des réverbères de Sartines : on crut avoir atteint le plus haut degré de perfection. Voici ce que l’on en disait vingt ans après l’achèvement : « Le réservoir de la ville auprès du Pont-aux-Choux sur le boulevard reçoit les eaux qu’on y élève par le moyen des pompes et les fournit dans un canal de pierres de taille qui a été construit pour porter les immondices de la ville dans la rivière. Ce canal commence au réservoir et tombe dans la Seine au-dessus du petit Cours. C’est un ouvrage digne des Romains : nous le devons à un