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chaque soir ils doivent conduire leurs tonneaux pleins. La matière a été réglée par une ordonnance de police du 7 août 1860. Il y a à Paris vingt-six fontaines dites marchandes où les porteurs d’eau vont remplir leurs tonneaux. Un poteau, un large tuyau de cuir, une clef tournante, c’est là tout le matériel. L’eau que l’on débite dans ces fontaines y est directement amenée des réservoirs de la ville ; mais on la filtre avant de la livrer à ceux que l’on appelle indistinctement les « Auvergnats », quelle que soit leur nationalité. L’eau traverse deux récipients d’où elle ne peut sortir qu’en passant par les mailles d’un tamis garni d’éponges, de cailloux et de laine effilochée. Comme tous les tonneaux ont été préalablement jaugés à la préfecture de police, que le jaugeage est inscrit en grosses lettres sur la face postérieure, il n’y a jamais de discussion sur la contenance : les 1 000 litres se payent un franc et sont vendus cinq par le porteur : 400 pour 100 de bénéfice. Est-ce trop ? Non. Qu’on pense au nombre de voyages que ces pauvres diables sont obligés de faire à travers les escaliers obscurs ou glissants, en soutenant à l’aide de la « courbe » deux seaux pleins en équilibre sur leur épaule, et l’on ne trouvera pas que leur gain soit excessif[1].

Les porteurs ne sont point forcés de puiser l’eau aux fontaines marchandes, ils ont le droit d’aller la chercher à vingt-huit fontaines publiques, dites à la sangle. On les appelle ainsi parce qu’il est défendu de s’en approcher avec des tonneaux et que l’on ne peut y remplir que des seaux qui se portent à l’aide d’une sangle passée sur les épaules ; un crochet de fer aboutit à chaque anse des

  1. En 1826, le comte de Chabrol, préfet de la Seine, lut un rapport au Conseil général sur un projet d’aménagement des eaux qui n’eut pas de suite. Dans ce document l’on trouve un renseignement curieux qui doit trouver place ici : « On vend à Paris, dit M. de Chabrol, 169 500 voies d’eau par jour, à raison de dix centimes, dépense qui équivaut à 17 000 francs par jour et à 6 182 000 francs par an. »