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1m,40 de largeur et 1m,70 de hauteur sous clef. C’est une rivière ; elle vient sans se presser, avec une sorte de majesté lente qui ne lui permet de faire qu’un kilomètre par heure. Elle est limpide, d’un gris bleuâtre, et glisse silencieusement sur un lit de ciment inaltérable. La galerie est large et très-éclairée, mais je ne crois pas qu’il existe au monde une bavarde plus insupportablement indiscrète. Dès qu’on parle, elle vous répond et se répond à elle-même ; elle a l’air de se moquer de vous, elle imite votre voix, et, si vous êtes enrhumé, elle tousse. Lorsque plusieurs personnes causent ensemble, elle les contrefait en même temps et produit un tel vacarme qu’on lui quitte la place. Elle a malignement niché des échos dans tous les coins, et dès qu’on prononce un mot, elle le répète à satiété jusqu’à ce qu’elle vous ait fait taire.

Le 12 septembre 1870, on s’aperçut que le volume d’eau sortant de l’aqueduc pour entrer dans la galerie baissait sensiblement ; le lendemain, le niveau avait encore fléchi, et le 15 on fut obligé d’interrompre le service : le canal était à sec. On s’y attendait bien, mais on n’en fut pas moins poigné par une dure inquiétude. Toute communication avec l’extérieur était fermée ; Paris, comme un vaisseau saisi dans les glaces, ne savait plus rien du monde entier. Qu’avait fait l’ennemi ? Avait-il arraché les siphons, comblé les tranchées, bouleversé le canal, fait sauter l’aqueduc ? C’était son droit, — le droit absurde de la guerre. Pendant cette douloureuse période, on fut dans des transes cruelles, car ceux qui ont mis la main à de tels travaux finissent par les aimer avec un sentiment où il y a quelque chose de paternel. Dès qu’il fut possible de traverser les lignes allemandes, l’inspecteur des aqueducs courut vérifier les dégâts présumés : ils étaient nuls ; de Pargny à Paris l’œuvre était restée intacte. Vers le 9 ou le 10 sep-