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visiblement mal à l’aise et se dissimulent le mieux qu’ils peuvent à des regards qu’ils soupçonnent et qui ne s’occupent guère d’eux. On fait bien de les baigner fréquemment et de les fortifier par des lotions d’eau froide ; la plupart sont anémiques, de chair blanche et molle ; les scrofules déforment les garçons, la chlorose affaiblit les filles ; on agit sagement et humainement en réagissant contre cet état général qui parfois, et malgré tous les soins, les conduit à la mélancolie, à ce tœdium vitæ où périt toute vaillance. Cependant, quoique cette maladie soit commune chez les aveugles, il est sans exemple qu’un d’eux ait essayé d’y échapper par le suicide, comme cela se voit si souvent chez les autres hommes.

Non-seulement les aveugles sont très-pudiques, mais ils sont d’une propreté remarquable. Il est vrai que la grande cause de la saleté ordinaire des écoliers, l’encre, n’existe pas pour eux à l’Institution ; néanmoins il est facile de reconnaître qu’ils se soignent avec plaisir, que le contact de la poussière, de la graisse, que toute tache perceptible au toucher leur est pénible. Leur costume fort simple, — un pantalon de drap noir et une blouse de siamoise, — n’est jamais déchiré, et, lorsque par hasard ils se laissent tomber pendant la récréation, ils s’époussettent partout et longtemps avant de reprendre leurs jeux. Ils sont en outre extrêmement ordonnés, et cela se comprend, car s’ils ne retrouvent pas immédiatement les objets sous la main à une place déterminée, ils sont déroutés et ne savent que devenir. La plus mauvaise plaisanterie que l’on pourrait faire à un écolier aveugle serait de bouleverser son pupitre.

Ces bonnes qualités ont leur contre-poids ; l’homme n’est point parfait, même à l’Institution des jeunes-aveugles. Comme les sourds-muets, ceux-ci ont un insupportable orgueil ; on dirait que leur infirmité leur constitue une supériorité dont ils sont fiers, et peut-être pensent-