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plane, il peut devenir voyant lorsqu’on lui met sous les doigts un relief appréciable. Une lettre imprimée est sans signification pour un aveugle, une lettre gaufrée lui offrirait un sens. Il s’agissait donc d’avoir à l’usage des hommes frappés de cécité des livres imprimés en lettres saillantes qui remplaceraient pour eux les livres en lettres colorées dont se servent les voyants. Les exemples de lecture, au lieu d’être exposés aux yeux des élèves, seraient placés sous leurs doigts. Ce fut là l’idée d’où sortit une série d’exercices raisonnés qui devaient donner corps à une nouvelle théorie d’enseignement exceptionnel.

Cette conception s’empara de Valentin Haüy avec une extrême intensité ; mais la théorie qu’il avait été deux ans à formuler ne suffisait pas ; il voulut se prouver à lui-même, par la pratique, qu’il était sur la voie d’une découverte réellement féconde. En 1784, il se mit en quête de son premier élève ; naturellement ce fut aux portes des églises qu’il fit ses recherches. En effet, à cette époque les aveugles sans ressources, ne pouvant ni travailler ni s’instruire, en étaient réduits à s’adresser à la charité publique ; ils n’avaient qu’une seule profession, celle de mendiants. Ils appartenaient presque tous à cette vaste corporation dont le conseil capitulaire siégeait aux Quinze-Vingts, dans l’hôpital célèbre que saint Louis avait non pas fondé, mais considérablement augmenté par les constructions qu’il avait fait élever sur l’emplacement du Champ-Pourri. Ils avaient, depuis l’origine même de l’établissement, des crieurs spéciaux qui s’en allaient par les rues et sollicitaient à haute voix la commisération des passants en faveur de l’œuvre. Dans ses Contes et fabliaux, Guillaume de la Villeneuve a dit :

A… crier mètent grant paine,
Et li avugle a haute halaine :
Du pain à cels de champ-porri !