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éteinte, élégante ou grossière. Ils ont à leur façon des voix, — des gestes, — de ténor ou de basse. Rarement, pour désigner un objet, ils se servent de l’index ; ils ne le montrent pas, on dirait plutôt qu’ils le présentent par la main tout entière, étendue la paume vers le ciel. Leur manière de saluer est un peu théâtrale ; le corps demeure presque immobile, et le bras droit décrit, de haut en bas, un quart de cercle emphatique.

J’ai assisté à des dictées faites à l’aide de la dactylologie ; elles ne donnent pas toujours des résultats irréprochables. Si l’enfant n’a pas été initié d’abord au sujet dont on va l’entretenir, si le professeur se hâte, s’il ne sépare pas chaque mot par un mouvement suspensif, si par une trop rapide inflexion des doigts les lettres ne sont pas exactement formées, l’élève ressemble à un écolier qui serait obligé d’écrire des phrases prononcées dans un langage qu’il ignore ; il se trouble, se préoccupe uniquement de suivre de l’œil les signes isolés, n’a plus le temps de saisir la corrélation qui existe entre eux, et il commet des erreurs qui parfois sont de véritables non-sens ; mais dès que les sourds-muets reprennent possession de la mimique, c’est-à-dire de leur langage naturel, de celui que leur infirmité même perfectionne de la façon la plus ingénieuse, comme ils sont maîtres d’eux et quelle sagacité ils déploient !

On m’a « récité » des fables ; j’ai vu jouer le Renard et le Corbeau, le Bouc et le Renard, le Savetier et le Financier ; le geste avait des inflexions comme la voix : la finesse du renard, la vanité du corbeau, la bêtise du bouc, la gaieté, l’inquiétude, le marasme du savetier, l’importance du financier, étaient rendus avec des nuances quelquefois très-fines. C’était là le résultat d’une étude, je le sais : on apprend à mimer, comme on apprend à déclamer ; je n’en restai pas moins frappé de voir avec quelle précision la mimique parvenait à