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écrits ou mimés, qui eux-mêmes ne sont aussi que des images, et s’il confond l’une avec l’autre, il entre dans un dédale dont il a grand’peine à sortir.

C’est là le vice radical auquel il n’y a pas de remède ; le sourd-muet est un malade : on l’amène progressivement à une convalescence qui sera perpétuelle, car il ne parvient jamais à la guérison complète. La mimique, la lecture, lui rendent une partie de la parole, la partie visible, tangible, pour ainsi dire, la partie matérielle ; mais la partie métaphysique, celle qui, à l’aide de déductions logiques, conduit sans peine à l’abstraction et à l’absolu, lui est interdite à jamais, et, par cela seul, il reste confiné dans un rang inférieur qui le réduit à n’être qu’une sorte de créature intermédiaire, intéressante, capable de recevoir une éducation limitée, qu’un accident pathologique enferme dans des ténèbres relatives, dont l’instinct pourra ressembler à de l’intelligence et sur lequel pèsera toujours la fatalité d’une origine viciée ; en un mot, ce ne sera jamais qu’un infirme, une sorte d’à-peu-près.

Les optimistes au contraire, sans nier l’infirmité, déclarent qu’elle n’est plus qu’apparente, puisque la méthode de l’abbé de l’Épée, émondée par Sicard, vivifiée par Bebian[1], fécondée chaque jour par les professeurs spéciaux, parvient facilement à la neutraliser. L’écriture est le langage écrit, de même que la parole est l’écriture parlée : lire ou entendre, c’est tout un. Les notions qui pénètrent dans le cerveau par le sens de l’ouïe, on peut les acquérir par le sens de la vue. L’opération matérielle seule est plus longue, ce qui imprime une certaine lenteur à l’enseignement, mais le dévelop-

  1. Bebian fut répétiteur (1817) et censeur à l’institution, qu’il fut obligé de quitter en 1821 à la suite d’une discussion dégénérée en querelle ; le plus important de ses ouvrages est le Manuel d’enseignement pratique des sourds-muets, 1827.