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jumelles. Vainement il essaya de causer avec celles-ci, elles gardèrent un silence absolu. Quand la mère rentra, le mystère fut promptement dévoilé à l’abbé de l’Épée ; il apprit qu’il était en présence de deux sourdes-muettes, et qu’elles étaient désolées, car récemment la mort avait enlevé leur professeur, un père de la Doctrine chrétienne, nommé Vanin, qui les instruisait à l’aide d’estampes qu’il essayait de leur expliquer. Cet instant décida du sort des sourds-muets et de la vocation de l’abbé de l’Épée : il se sentit appelé, et de cette heure jusqu’à celle de sa mort, il se consacra exclusivement à son œuvre.

C’était un homme très-doux et d’une extrême bienveillance, ses portraits en font foi : l’œil saillant, la joue pleine, la lèvre épaisse et souriante, le menton carré et le front haut indiquent une grande ténacité, une bonté et une charité inépuisables ; mais au milieu de ces belles qualités apparentes on démêle quelque chose de naïf et même de crédule qui explique avec quel entraînement il se laissa duper dans la fameuse mystification du faux comte de Solar. Cette aventure fit bien du bruit en son temps, elle prit à l’abbé de l’Épée des loisirs qu’il eût mieux occupés ailleurs, et fournit à Bouilly le sujet d’une comédie mélodramatique qui eut quelque succès jadis. Il fallait peut-être cette foi aveugle, — la foi qui soulève les montagnes, — pour n’être point découragé dès le début par des obstacles qui pouvaient être considérés comme insurmontables. Reprenant la dactylologie, que Bonnet avait publiée en 1610, et dont chaque signe correspondait à une lettre de l’alphabet, mais s’attachant surtout à réunir en un groupe méthodique et raisonné tous les signes dits naturels[1] à l’aide desquels les sourds-muets expri-

  1. L’expression « signes naturels » est impropre. Il n’y a pas de signes naturels : chaque peuple ou plutôt chaque race a les siens. Nous secouons