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bles fonctionnaires, debout et ricanant, lançaient à toute volée des cervelas, des saucissons et du pain. Des hommes, des femmes se roulaient par terre, s’arrachant cette charcuterie médiocre, pendant que d’autres, portant des cruches, des seaux, des éponges emmanchées au bout d’un bâton, se ruaient, s’étouffaient pour arriver jusqu’à la fontaine de vin. C’était hideux ; quelques gendarmes avaient grand-peine à empêcher les ivrognes tombés par terre d’être piétinés par les impatients. Il faisait un temps gris et froid, ce devait être le 4 novembre, le jour de la Saint-Charles ; j’étais petit enfant, la peur me prit devant cette tourbe violente, et je me sauvai. Moins d’un an après, la révolution de Juillet emportait pour toujours cette mauvaise coutume de l’ancien régime. Aujourd’hui les distributions gratuites sont remplacées par des secours aux indigents, à qui l’on donne individuellement quelques livres de pain, une bouteille de vin et un pâté ; parfois des vêtements, du bois, du charbon ou de l’argent. Tout ce que le spectacle d’autrefois avait de répulsif a disparu ; il ne reste plus qu’une mesure charitable, sagement appliquée.

Je n’ai point à parler ici de la bienfaisance privée, qui à Paris est très-considérable, toujours sollicitée, toujours entretenue ; je n’ai rien à dire non plus des sociétés de charité religieuses et laïques, qui, tout en secourant les malheureux, poursuivent un résultat parallèle et parfois imposent certaines conditions de moralité ou un mode particulier d’existence aux misérables qui les invoquent. Je ne veux m’occuper que de la bienfaisance abstraite, de celle qui ne demande ni l’acte de baptême ni l’acte de mariage, qui est exercée en vertu de considérations sociales supérieures, qui reçoit de toute main et donne à toute infortune, qui est un des éléments de la sécurité urbaine, et qu’on a centralisée avec ses ressources, ses devoirs et ses charges,