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barrière prudemment élevée entre le chef de service et les gens qu’il interroge. Voyant un homme fort jeune encore qui avait déjà été arrêté une quinzaine de fois, je ne pus m’empêcher de dire : « Mais la mendicité est donc un vice incorrigible ? » Un employé qui passait répondit : « La mendicité est une passion. »

Les types se succèdent avec des différences de surface, car le fond est toujours le même : paresse et abrutissement. Des gens parlent de leur grand âge et de la peine qu’ils ont à travailler à cause de leur vieillesse ; on vérifie la date de leur naissance, ils ont quarante-sept ans. On leur dit : « Vous devez avoir eu quelque affaire ? » Ils répondent : « Pas beaucoup, trois ou quatre seulement. » Une affaire, c’est avoir comparu en police correctionnelle ou en cour d’assises. J’en ai vu apparaître un, traînant la savate, minable, l’œil inquiet, la barbe hérissée ; ses longs cheveux lui donnaient l’apparence d’un paquet de crins d’où serait sorti un bout de nez échancré ; du fond de cette masse velue et mal peignée s’échappait une voix sourdement éraillée ; on dirait que tous les égouts du vice se sont vidés sur lui. À ce qu’on lui demandait, il répondait par un grognement affirmatif. Il est marié, il a des enfants ; il a lassé toutes les sollicitudes ; il connaît le chemin de la maison de répression, il y retourne sans peine, il n’est point récalcitrant et dit : « Je ne suis pas luxueux ; avec deux sous de pain par jour, je peux bien vivre. » À la question : « Où est votre acte de naissance ? » j’ai entendu cette réponse qui défie tout commentaire : « Comment voulez-vous qu’on ait un acte de naissance, quand on est né à Paris, dans un naufrage ? »

Beaucoup de ces hommes qui, en liberté et livrés à eux-mêmes, sont d’insupportables paresseux, deviennent, dès qu’ils sont incarcérés, des travailleurs excellents, habiles, courageux ; promptement ils gagnent des