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logis avec une cinquantaine de francs de bénéfice. Les joueurs de petites orgues avaient et ont peut-être encore une industrie d’une moralité équivoque qui, en leur laissant courir des chances assez graves, leur rapportait quelque argent. Ils sortaient de Paris, sous prétexte d’aller jouer dans les guinguettes de la banlieue, et lorsqu’ils franchissaient la barrière pour rentrer dans la ville, ils avaient remplacé leur rouleau pointé par un rouleau tout semblable d’apparence, mais creux à l’intérieur, hermétiquement bouché, et qu’ils avaient rempli d’une eau-de-vie qui, ainsi dissimulée, passait en franchise devant les employés de l’octroi. Plusieurs, qui sans doute avaient été dénoncés par quelque camarade jaloux de l’invention, furent saisis, et répondirent devant les tribunaux de ces essais trop bien combinés de libre échange.

Parmi les musiciens, il ne faut point oublier l’homme orchestre, qui porte un chapeau chinois sur la tête, une flûte de Pan sous les lèvres, des sonnettes aux chevilles, des cymbales aux genoux, une grosse caisse sur le ventre et un triangle je ne sais plus où. Ses exercices doivent l’altérer prodigieusement, car dès qu’il a reçu quelque argent, il entre chez ce qu’il appelle le mastroquet, c’est-à-dire le marchand de vin. Les chanteurs sont le plus souvent des ouvriers mutilés qui, en raison des blessures ou des infirmités qui les privent forcément de travail, essayent de gagner leur vie par ce pénible moyen. Il y a cependant des gens pour qui ce mode de vivre si voisin du vagabondage est sans doute un besoin d’indépendance malsaine et hasardeuse, car il existe en ce moment même à Paris (1870) une femme, relativement bien née, dont un très-proche parent occupe une situation importante, qui est chanteuse des rues et qui, chaque jour, dans les cours, sur les emplacements autorisés, dans les cabarets borgnes, va goua-