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Le joueur d’orgue est bien déchu ; la rue était son domaine, et il s’arrêtait devant toute fenêtre pour moudre ses airs, comme on l’a dit assez spirituellement ; souvent il était accompagné par des hommes, vêtus en femme ou en paillasse, qui grimaçaient, gesticulaient et chantaient. Vers 1830, un de ces saltimbanques adjoints était fort connu des Parisiens sous le nom du Marquis, à cause du costume qu’il portait. C’était un homme maigrelet, très-leste, très-agile, et âgé de plus de cinquante ans ; il excellait à lancer dans la fenêtre ouverte d’un quatrième ou d’un cinquième étage une pièce de deux sous enveloppée d’un cahier de chansons ; on lui renvoyait le double par le même chemin. On prétendait qu’il appartenait à la police secrète, à laquelle il rendait d’importants services. La vérité est plus mystérieuse encore. Cet homme qui courait Paris avec son habit pailleté, sa veste brochée, ses bas de coton d’un blanc irréprochable, sa coiffure poudrée à l’oiseau royal, était un ancien chauffeur qui avait commis jadis des forfaits effroyables. Il passait pour riche et je crois qu’il a été assassiné.

Un orgue neuf coûte de 400 à 500 francs ; un orgue d’occasion qui peut servir encore vaut 100 ou 150 francs ; c’est donc là une grosse dépense, une première mise de fonds que bien peu de malheureux sont en état de faire. Vivant au jour le jour de ressources très-aléatoires, ils sont obligés de les louer et de grever leur budget d’une somme relativement considérable ; un petit orgue, propre à être facilement porté sur le dos, se loue depuis cinquante centimes jusqu’à un franc pour la journée ; ces grandes et belles orgues de Crémone, qui simulent un orchestre complet, se louent en moyenne dix francs par jour et exigent de plus un conducteur qui est payé deux francs. Avec ces dernières on fait généralement des recettes fort belles, et l’on rentre parfois le soir au