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rondes. Un jour que je passais par là, j’ai vu une femme, femme de ménage ou femme légitime, qui apportait le diner à un de ces aveugles ; elle lui mit dans la main une gamelle en fer-blanc qu’il déboucha rapidement ; il la flaira et dit : « Qu’est-ce que c’est encore que ça ? — La femme répondit, avec une certaine expression de crainte : Mais c’est un ragoût de mouton aux petits pois. — Eh ! que le diable t’emporte avec ton mouton ! tu sais que je n’aime que le bœuf. » Je retins mon aumône et la gardai pour une occasion meilleure. Celui-là n’était pas seul à tirer bon profit de son infirmité, car je lis dans un rapport du 17 septembre 1853 : « Quelques aveugles viennent à Paris pendant la belle saison et retournent avec des ressources passer l’hiver en famille. »

Ceux dont je viens de parler ont une excuse qu’ils peuvent, au besoin, faire valoir : ils sont invalides et infirmes ; aussi, quoique la mendicité soit, en principe, interdite à Paris, on n’ouvre pas trop les yeux et parfois même on les ferme tout à fait. Le monde des mendiants est du reste assez difficile à manier, volontiers récalcitrant, ne faisant jamais à la force un appel dont il connaît d’avance toute l’inanité, mais cherchant presque toujours, par des doléances et des jérémiades, à attirer l’intervention du public lorsque les inspecteurs apparaissent. Quand ces quémandeurs ne peuvent gagner au pied, ils se laissent tomber à terre, pris d’une insurmontable faiblesse ; si on parvient à les relever, ils ne marchent plus, ils se traînent ; la foule s’amasse ; émue de pitié pour une si manifeste infortune, elle interpelle les agents, leur reproche leur barbarie et jette force petite monnaie au malheureux que l’on entraine. C’est autant de gagné pour adoucir les jours de captivité qui vont suivre. Aussi il faut que le flagrant délit soit bien constaté pour que l’on se résigne à les arrêter dans un