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sauver, il faut les suivre et les surveiller de loin lorsqu’ils sont rentrés dans leur milieu. Le statut d’Illenau est impératif à cet égard. Le directeur écrit au curé et au maire du village, de la ville où revient le convalescent ; il leur indique le traitement prescrit et les charge de s’assurer que son ancien pensionnaire ne s’en écarte pas. Tous les quinze jours d’abord, puis tous les mois, tous les trois mois, enfin tous les semestres, des lettres sont échangées, des recommandations sont réitérées dans le but de consolider la guérison d’un paysan, d’un prince, — jusqu’au moment où le docteur Roller estime que nulle rechute n’est à redouter. J’ai longuement étudié cet asile, en éprouvant le regret profond que nous n’eussions rien de semblable à Paris, dans le pays où Philippe Pinel a fait la révolution que l’on sait et fondé la pathologie mentale.

J’ai vu là, dans la personne du docteur Hergt, spécialement chargé de la division des femmes, le type du médecin aliéniste. De six heures du matin à minuit, il est sur pieds, et nul médicament important n’est administré qu’en sa présence. Dès qu’il a quelques minutes de loisir, il va les passer près de ses malades pour leur faire des lectures, leur raconter des historiettes, écouter leurs plaintes et faire pénétrer l’espoir dans le cœur des plus désespérées. Il n’est plus jeune, car il est d’âge à s’être dévoué jusqu’à épuisement, en 1852, à Marseille, lors de la grande épidémie de choléra, et les cheveux blanchissants qui entourent sa tête toujours penchée semblent augmenter encore l’incomparable douceur de son regard. Il est partout à la fois, chez celles qui pleurent, chez celles qui se frappent, chez celles qui sont furieuses ; il n’a qu’un moyen de répression : une inaltérable mansuétude. Je l’écoutais un jour pendant qu’il donnait des conseils à une surveillante qui se plaignait de la dureté de son labeur ; il lui