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par le commissaire de police sur ses moyens d’existence répondit : « Je vais manger aux casernes. » Le mendiant est rarement un vagabond ; ce n’est pas lui qu’on découvre blotti derrière les tas de fagots des fours à plâtre, ou couché dans les conduites d’eau provisoirement déposées sur la voie publique ; en hiver du moins, il a une sorte de domicile, où il dort moyennant quelques sous payés chaque soir. Il y a à Paris neuf garnis où les mendiants simulant des infirmités vont se réfugier la nuit[1]. Comme dans les anciennes cours des miracles, ils y redeviennent parfois plus ingambes qu’on n’imaginerait. En été, quelques-uns ont un autre procédé, qu’ils partagent du reste avec beaucoup d’ouvriers pauvres ou trop économes. Ils vont coucher hors Paris, à Asnières, à Bois-Colombes, dans ces affreuses petites campagnes qui sont aux portes des fortifications. Ils se glissent dans les jardins, s’y tapissent sous les arbres, s’abritent dans les massifs, et lorsque, par hasard, ils y rencontrent une de ces grottes factices chères aux bourgeois parisiens, ils ne se font pas faute d’y établir leur chambre à coucher.

Il est une catégorie qui est plus intéressante, car elle est frappée d’une infirmité cruelle dont cependant la belladone et la fève de Calabar, agissant d’une façon absolument opposée, peuvent donner les apparences : je parle des aveugles. On semble avoir abandonné certains emplacements à ceux qui, reculant devant la discipline fort douce des Quinze-Vingts, préfèrent les hasards de l’indépendance et de la charité ; c’est une croyance dans le peuple de Paris que la plupart des aveugles mendiants sont millionnaires. Autrefois, devant les jardins de l’hôtel Gontaut, qui s’appuyaient

  1. Rue Traversière-Saint-Antoine, rue Blomet, rue Cambronne, rue de l’Orillon, passage de l’Isly, Faubourg du Temple, rue des Lyonnais, rue du Poirier, rue Maubué.