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jeunes idiotes ; il y a là une institutrice que souvent j’ai vue à l’œuvre et que je n’ai jamais pu contempler sans émotion, car je connais son histoire et je n’en sais guère de plus touchante. En 1847, une femme devint folle et entra à la Salpêtrière ; sa fille, qui avait reçu une éducation sérieuse, obtint de la suivre, de rester près d’elle afin de lui donner des soins. Cette tolérance ne pouvait être que provisoire ; elle devint définitive grâce au dévouement filial. Mademoiselle X… se chargea d’apprendre à lire et à écrire aux idiotes. Il y a vingt-trois ans qu’elle n’a quitté le froid quartier où ses élèves sont recluses, et rien, ni une santé visiblement chétive, ni l’ingratitude d’un labeur énervant, n’a pu la faire renoncer à la tâche sacrée qu’elle a recherchée avec une abnégation admirable. Est-elle payée de sa peine ? Bien peu, si l’on ne considère que le développement rudimentaire des pauvres cerveaux qu’elle veut éclairer ; suffisamment et selon son cœur, si l’on remarque une vieille femme fort douce, un peu sauvage, s’empressant volontiers autour des enfants, qui se promène dans le préau ombragé du quartier — de la masure — des idiotes ; la mère et la fille sont réunies. Si cela est contraire au règlement, il faut bénir ceux qui ont su y manquer pour aider à cette bonne action[1].

Ces malheureuses petites filles dénuées, et dont la vie serait insupportable si elles pouvaient en concevoir l’amertume, ont parfois une distraction qui les occupe et les fait joyeuses pendant une heure ou deux. Tous les ans, le directeur de la Salpêtrière fait venir, au carnaval, un prestidigitateur qu’on installe avec son théâtre portatif dans la salle de réunion d’un des quartiers neufs. C’est une vraie fête de famille ; on y invite les idiotes sages, les épileptiques simples, les folles tranquilles. Il

  1. Mademoiselle X… est toujours à l’œuvre ; rien n’a ralenti son dévouement. (Janvier 1875.)