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maintenues par une contraction nerveuse, il faut y renoncer ; on lui briserait les dents et l’on n’arriverait à rien. On se sert alors d’une sonde œsophagique que l’on fait passer par une narine et que l’on dirige de façon qu’elle pénètre dans le pharynx ; et c’est ainsi qu’on peut envoyer de la nourriture liquide jusque dans l’estomac à l’aide d’un instrument fort prosaïque dont Molière a souvent abusé dans ses comédies. Lorsque ce mode de nutrition se prolonge, — j’ai connu un aliéné qui l’a supporté pendant dix-sept mois, — le patient finit souvent par être atteint de scorbut, maladie qui du reste n’est pas rare chez les fous. Il ne faut pas croire que ces êtres immobiles, qui vivent dans une concentration incompréhensible, muets, sans regard, sourds et pétrifiés, ne pensent à rien. C’est le contraire qui est vrai : l’agitation intérieure est formidable chez eux, un chaos de pensées se heurte dans leur tête ; ils sont un monde et vivent au centuple, emprisonnés dans un corps qui se refuse à toute manifestation extérieure. Lorsqu’ils sortent de cette rigidité, on est surpris de voir que rien ne leur a échappé, et l’on reste parfois stupéfait en écoutant le récit des phénomènes psychologiques dont ils ont été le théâtre fermé.

Gérard de Nerval, qui ne fut que trop compétent en pareille matière, décrivant les régions fantastiques à travers lesquelles il a été si souvent transporté[1], a appelé la folie « un épanchement du songe dans la vie réelle ». Cette expression, que nul aliéniste ne répudierait, est d’autant plus frappante, qu’il est impossible de reconnaître si le récit de Gérard de Nerval est emprunté à des rêves ou à des réalités morbides. Évidemment les réalités et les rêves sont si étroitement mêlés, tellement confondus, qu’il ne parvenait pas à les dis-

  1. Aurélia, ou le Rêve et la Vie, par Gérard de Nerval, 1 vol. in-18.