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sans s’arrêter du matin au soir, toujours sur la même ligne, comme des animaux féroces dans une cage ; quelques-uns, pris par un accès de loquacité, parlent avec des intonations théâtrales et répètent incessamment la même phrase. Plusieurs vont la tête baissée, sombres, les bras retenus sur la poitrine par la camisole de force ; lorsqu’on passe auprès d’eux, ils feignent de ne pas vous apercevoir ou vous jettent un regard farouche.

La camisole de force employée dans les asiles est en toile flexible, épaisse et douce ; elle n’a sous ce rapport aucune ressemblance avec celle dont on use dans les prisons ; celle-ci se boucle par sept fortes courroies de buffle, celle-là se lace à l’aide d’une grosse bande de toile tordue. À ce moyen de répression il faut ajouter le manchon qui immobilise seulement les mains, et les entraves qu’on peut nouer au-dessus de la cheville pour empêcher les malades de frapper leurs compagnons à coups de pied ; quelques fous ayant la manie de rejeter toujours leurs souliers sont chaussés avec des brodequins fort ingénieux, amples et souples, mais fermés à l’aide d’une clef qui manœuvre un petit écrou fixant la lanière d’attache. C’est par ces moyens que l’on arrive à se rendre facilement maître des fous les plus furieux, à paralyser leurs violences et à neutraliser leurs tentatives, — si fréquentes, — de suicide et d’homicide. Il est rare qu’une heure ou deux de camisole ne ramène pas un calme relatif dans les esprits les plus surexcités. Doit-on conserver pour les aliénés l’usage de la camisole de force ? est-il préférable de le bannir ? Grave question qu’on agite depuis une vingtaine d’années et qui n’a pas encore été résolue. L’Angleterre, qui n’a répudié les chaînes et le ferrement que bien longtemps après nous, n’admet pas aujourd’hui qu’on emprisonne les bras d’un fou dans un vêtement fermé, et elle met en œuvre ce qu’elle appelle le no restraint.