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but particulier, exclusif de celui d’autrui ; les malades semblables, au contraire, se comprennent, car ils souffrent du même mal ; ils s’entr’aident dans l’accomplissement de leurs projets insensés, et, comme ils tendent tous vers le même résultat, ils se concertent pour l’atteindre. Vingt mélancoliques, avec impulsion au suicide, groupés ensemble dans le même quartier, ne passeraient pas deux jours sans tenter de s’étrangler mutuellement, et il est fort probable qu’ils réussiraient. La division normale, conseillée par la théorie, confirmée par la pratique, se fait entre les tranquilles, les demi-agités, les agités ; restent les paisibles, qui sont réduits à la vie végétative : nous en parlerons.

Au premier regard, en entrant dans les préaux, on reconnaît dans quel quartier l’on se trouve, et il n’est pas besoin d’interroger les gardiens pour savoir que l’on est en présence de malades tranquilles ou de malades agités ; le jardin seul est une indication suffisante. Celui des fous tranquilles est propre, les gazons verdissent respectés par le pied du promeneur, l’écorce des jeunes arbres est intacte, il y a des fleurs arrosées, cultivées avec soin, des capucines surtout qui poussent vite et grimpent le long des piliers de la galerie. Les malades causent entre eux, lisent, fument, saluent quand on passe ; penchés sur la table de la salle de réunion, quelques graphomanes écrivent avec précipitation. Si les membres du parquet et du gouvernement lisent toutes les lettres qui leur sont expédiées par les aliénés, ils ont fort à faire et leur place n’est point enviable.

Chez les demi-agités le jardin est plus inculte et les fleurs sont rares ; on s’y vautre volontiers sur le gazon. Chez les agités tout est en désordre : le sable des allées, chassé à coups de pied, est répandu sous les galeries ; sur les gazons s’entre-croisent des sentiers tracés par des malheureux atteints de déambulomanie, qui marchent